Transition  -Chapitre 02-

 
   
Les Enfers
 

- J'ai fait mon choix. J'accepte votre proposition.

- Un choix très judicieux.
Par conséquent... que s'ouvre la voie vers ta nouvelle destinée !
 

Sion
 

Le cocon psychique enveloppant mon âme depuis plus de treize ans, cette prison mentale dans laquelle elle était soumise sans relâche au pouvoir des Erynies, cesse d'être.

La fin subite de cette oppression provoque un choc.

Je suis libre.

Mon esprit s'active à une vitesse inhabituelle, presque insupportable - comme pour protiter immédiatemment de sa liberté retrouvée et rattraper tout ce temps où il a été la proie des tourments infernaux - et je ne tarde guère à recouvrer tous mes sens.

Débarassés du harcelement continu des illusions cauchemardesques liées à mon châtiment, ils peuvent enfin interpréter mon environnement de manière objective.

Ma vue me transmet les informations essentielles : je suis couché dans un tombeau au bord duquel se tient une silhouette entièrement dissimulée sous un manteau à capuche noir. Réalisant bientôt que mes sens sont à nouveau pleinement opérationnels, je commence à me lever et mon regard tombe alors sur mon corps nu.
Je reçois un nouveau choc.

Je viens placer mes paumes quasiment sous mon nez pour bien m'assurer de la réalité de ce que j'observe : nulle marque de vieillesse, nulle trace du passage du temps sur ma peau ou dans ma chevelure. Il semble que j'aie bel et bien retrouvé le corps de mes dix-huit ans.

Il semble.

La voix de l'Empereur des Ténèbres vient confirmer mes prémonitions :
- "Ce que tu vois actuellement n'est qu'une projection de ton esprit, un corps astral. Tu ne retrouveras une véritable enveloppe charnelle qu'à partir du moment où tu auras quitté le Monde des Morts. Pour l'instant, seule ton âme a ressuscité."

"A présent, il est temps de procéder au choix de tes compagnons."

Nous nous fondons dans les ténèbres, vers une destination qui m'est pour l'instant totalement inconnue.
 

Poutre
 

La poutre céda d'un coup, entraînant avec elle le reste de la charpente. Les enfants virent le plafond de la bâtisse s'abattre sur eux dans un vacarme indescriptible. Leurs pensées se figèrent et leurs visages affichèrent des expressions mêlant la terreur et l'impuissance.

Du coin de l'oeil, le plus jeune des cinq crut apercevoir une ombre fondre sur lui.

Le plafond s'écrasa sur le sol.

Les enfants traversèrent le plafond.

Des bras puissants les avaient arrachés à leur paralysie.

Et à présent, on les emmenait vers les cieux.
 

Observateur
 

Parmi les témoins de la scène, il n'y avait que cet observateur à disposer des capacités, mais aussi du calme nécessaires pour bien la comprendre dans son intégralité.

L'observateur vit la silhouette traverser le toît d'un bond prodigieux, les cinq enfants dans les bras, diriger son regard vers le bas pour viser un point d'atterrissage précis et déplacer subtilement son poids corporel pour diriger sa chute au mieux.

L'inconnu se posa précisément à l'endroit prévu, déposa en douceur les enfants, puis quitta immédiatemment les lieux d'un nouveau bond, sans que personne n'ait eu le temps de l'identifier, voire de remarquer sa présence.

A part l'observateur bien sûr.
Qui décida de le suivre.
 

Chevalier
 

Le Chevalier finit par s'arrêter dans une ruelle déserte.

Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait effectué ce genre de sauvetages ces derniers jours. Le déluge qui avait frappé le monde récemment n'avait guère épargné ce pays qu'il considérait comme sa patrie d'adoption. Le lieu où était née sa destinée.

Quand le déluge avait brusquement pris fin, il s'était pris à penser dans un élan d'optimisme que tous les problèmes liés à cette épreuve disparaîtraient.

Il avait rapidement déchanté : les intempéries n'avaient pas laissées indemnes nombre de bâtiments, et beaucoup d'entre eux étaient encore habités par des déshérités, qui n'avaient pas trouvé de meilleur endroit pour dormir.

Il faudrait certainement de nombreux mois pour que...

Il s'interrompit.

Il venait de sentir une présence dans son dos.

Et son intuition lui dit que cette présence n'avait rien à voir avec le hasard.
 

Interpellation
 

- "Chevalier de la Licorne." fit la voix.
Le ton n'avait rien d'interrogatif.

Jabu se retourna calmement, s'efforçant de masquer sa surprise.

L'inconnu portait un manteau à capuche entièrement brun.

- "Oui ? " fit le Chevalier de bronze.

- "Le Sanctuaire te confie une tâche." fit l'encapuchonné sur un ton complètement monocorde.

Un messager.
Voilà pourquoi il était parvenu à suivre Jabu, et même le surprendre alors qu'il était perdu dans ses pensées. Un ancien postulant à une armure de bronze - voire d'argent - qui avait échoué lors de l'épreuve sacrée, mais qui disposait malgré tout de capacités suffisantes pour servir lui aussi le Sanctuaire. Mais d'une autre manière.

L'émissaire lui tendit un pli cacheté de la main droite. Dans le même temps, il lui dévoilait subtilement le tatouage qu'il arborait sur le poignet gauche, sous les bandages qui lui faisaient office de bracelet. Le dessin représentait une chouette. Il s'agissait du symbole propre aux messagers du Domaine sacré. Ce rituel de reconnaissance était né il y a des millénaires. Et il avait perduré jusqu'à aujourd'hui, malgré les tourments de l'Histoire.

Une fois qu'il eut trouvé tous les repères sur le tatouage permettant de l'authentifier - ce qui ne lui prit à guère plus d'une seconde - le japonais saisit l'enveloppe qu'on lui présentait.

- "Je te remercie."

Son interlocuteur lui répondit par un discret hochement de tête, puis lui tourna le dos pour partir.

Il marqua cependant une brève pause dans son action.

- "Athéna te garde, Chevalier." finit-il par dire.

Puis il disparut.
 

Message
 

Jabu resta quelques instants troublé par les dernières paroles de son interlocuteur. Non pas par les termes employés - il s'agissait en effet d'une forme de salut conventionnel employée par les messagers - mais par l'intonation qui avait été donnée à la phrase. Elle semblait légèrement mais néanmoins réellement différente par rapport aux quelques précédentes fois où Jabu s'était entretenu avec un émissaire.

Etait-ce en rapport avec le contenu du message ? Son importance ?

Jabu secoua la tête. Il se faisait probablement des idées : les messagers n'étaient évidemment pas autorisés à lire le contenu des messages, et l'intégrité des membres de cet ordre discret mais néanmoins vital était réputée pour être exemplaire. Il valait mieux : la sécurité et le bon fonctionnement du Sanctuaire en dépendaient grandement.

Le chevalier de bronze fut conforté dans ses pensés en observant méticuleusement le sceau : il n'avait pas été touché, et les marques de reconnaissance dissimulées étaient toutes présentes. Or la localisation de ces marques était inconnue des messagers. Impossible donc pour quiconque parmi eux de dissimuler une précédente ouverture du message en produisant un nouveau sceau.

L'adolescent se résolut enfin à prendre connaissance du contenu du message.

Il eut le souffle coupé.

Le texte était naturellement du grec ancien. L'apprentissage de cette langue faisait logiquement partie de l'entraînement de tout apprenti-chevalier, et si l'excellence dans ce domaine était très variable selon les cas, il n'en restait pas moins que certains termes étaient connus de tous.
Celui qui était employé ici en faisait indéniablement partie.

MEGA SUNAGHEIN

La grande réunion.

Le rappel de tous les Chevaliers au Sanctuaire.

Il se préparait quelque chose.
Quelque chose de grand.

De terrible.
 

Salle
 

Les âmes d'Hadès et Sion émergèrent du sombre tunnel dimensionnel qu'ils avaient empruntés pour se retrouver dans une salle spacieuse que l'ancien Grand Pope n'eut aucun mal à reconnaître.

Juste en face d'eux débutait un majestueux escalier en marbre au sommet duquel se trouvait une estrade. Sur celle-ci étaient disposés deux sphinx de pierre se faisant face, un bureau (que les deux sculptures encadraient) et un trône. Elle s'achevait sur une imposante porte à double battant.

L'architecture du lieu avait été pensée dans ses moindres détails pour faire immiatement et durablement ressentir à tout défunt récent quelle était la nature précise de sa condition.
Une infinie faiblesse.

Ils étaient dans la première Prison. Le Tribunal des Enfers.

Lorsque l'homme qui se trouvait derrière le bureau les vit arriver, il se leva de son trône et s'empressa d'aller s'agenouiller devant l'Empereur des Ténèbres. Il avait une longue et épaisse chevelure blonde et était vêtu d'une sombre robe d'apparence sobre bien que nullement quelconque, qui reflétait à la fois le sérieux et l'importance liés à sa fonction.

- "Majesté..."

- "Minos."

Minos. Il s'agissait bel et bien de l'un des trois Chefs des Enfers. Le même visage qu'il y a plus de deux cents sur un champ de bataille, la même armure sous cette robe de tribunal. Le choc étant d'autant plus grand pour le Bélier qu'il se souvenait parfaitement avoir brûlé tous les corps des Spectres et détruit tous les Surplis quasiment dès la fin du conflit, aidé de Doko.
Il avait en face de lui la preuve saisissante que le Maître de l'Au-Delà était capable de dominer la mort, recréant enveloppes charnelles et protections à volonté.

- "Ton armée et celles de Rhadamanthe et Eaque sont-elles prêtes, comme je l'ai demandé ? "

- "Oui. Nous avons disposé nos troupes tel que vous l'avez indiqué à sa Majesté Pandore. Il ne me reste plus qu'à transmettre une toute dernière directive."

- "Bien. Tu peux te retirer."

- "Majesté."

Le Spectre du Griffon s'exécuta sans attendre, s'éclipsant par la porte du fond, et ce sans avoir adressé un seul regard à son ancien ennemi.

L'Empereur des Ténèbres se mit à gravir l'escalier. Ou plus exactement à glisser dessus, puisqu'il lévitait au ras des marches. Sion le suivit.

Arrivé en face du bureau, l'ancien Chevalier remarqua qu'un épais grimoire était posé dessus; le titre inscrit sur la couverture de l'ouvrage était composé de lettres caligraphiées en gothique et était encadré d'une bordure dorée finement travaillée. L'écriture employée était parfaitement hermétique aux yeux du Pope, qui disposait pourtant d'une érudition certaine, celle-ci ayant été forgée durant plus de deux siècles dans les bibliothèques du Sanctuaire et de Jamir.

Le dieu ne fit aucun geste. Le livre se mit pourtant à léviter lentement jusqu'à une trentaine de centimètres au dessus du bureau.

- "Peu de mortels le savent mais - dans l'état actuel des choses - quand bien même les Dieux eux-mêmes le souhaiteraient, la résurrection ne serait jamais accessible à l'ensemble des humains."
"Pour des raisons diverses, il est des cas pour lesquels le Fil de l'Existence que les Moires ont tranché peut-être reconstitué, et d'autres pour lesquels cela est impossible."

- "Serait-ce dû... à ce que nous-... à ce que les Chevaliers baptisent Cosmos ? "

- "La nature et l'intensité du cosmos associé à une personne peuvent être effectivement des facteurs déterminants. Mais ce ne sont pas les seuls."

Sion se retint de poser d'autres questions sur le sujet, car il comprit au ton employé par le dieu que ce dernier n'était pas disposé à en révéler davantage.

- "A présent, voyons ceux qui sont susceptibles de devenir tes compagnons."

Le Souverain du Monde des morts leva la main droite. Sous l'action de sa télékinésie, le grimoire s'ouvrit tout en s'orientant de telle manière à ce que son contenu leur soit clairement visible. La langue utilisée dans les pages intérieures était visiblement la même que celle de la couverture.

Un filet fantômatique s'échappa du bout de l'index du dieu et atteignit l'ouvrage, qui à son contact se retrouva intégralement enveloppé de la même lueur blanchâtre.

Le sens des écrits se dévoila alors à l'ancien Chevalier d'or.

Il s'agissait d'une longue liste référençant des défunts, auxquels était associées plusieurs informations : identité détaillée, date de décès, péchés durant le vivant (classés par ordre d'importance), sentence prononcée et lieu de condamnation associé.
Ils étaient en train de consulter les registres des Enfers.

La liste était à première vue longue, mais si l'on prenait en compte le nombre total de défunts que devaient compter les Enfers, elle s'avérait en fait très modeste. Sion se douta que l'Empereur des Ténèbres n'avait sélectionné que des êtres ayant acquis une maîtrise minimum du cosmos, ce qui lui fut rapidement confirmé lorsqu'il lut les premières identités détaillées : la plupart des défunts avaient appartenu de leur vivant à un ordre de guerriers sacrés.

Instinctivement, il se mit alors à chercher les noms de ses compagnons tombés deux cent quarante-trois plus tôt. Il dut néanmoins se rendre bien vite à l'évidence : aucun d'entre eux ne devait figurer dans la liste. Confirmant ses prémonitions, il se remémora à cet instant les dernières paroles qu'avait tenu Hadès autrefois, au moment-même où son âme s'était vue enfermée par Athéna : "Tous ceux qui sont tombés aujourd'hui à tes côtés seront maudits pour l'éternité ! "
Il avait bel et bien tenu parole. La malédiction divine faisait sans doute partie des autres facteurs de non-résurrection.

L'ancien Pope remarqua néanmoins que des Chevaliers d'Athéna figuraient bel et bien dans la liste. Il se mit à la parcourir avec d'autant plus d'assiduité.

Il reçut alors un choc.
Ce n'était que le premier.
 

Extérieur
 

Comme à son habitude, la Vallée Noire reliant la première Prison à la deuxième était continuellement et violemment balayée par les vents. Cela ne perturbait nullement les deux personnes qui s'entretenaient en ces lieux :

- "Pardonnez-moi, Majesté, mais j'avoue avoir du mal à comprendre pourquoi Sa Majesté Hadès a décidé de rendre la vie à ce Chevalier d'Athéna... Il a sans conteste d'excellentes raisons, mais... ce Sion du Bélier... mérite-t-il une telle faveur ? "

- "Sa Majesté est quelqu'un de fort juste et les décisions qu'elle prend ne sont jamais inconsidérées, même si leur sens nous est parfois obscur..." déclara Minos.
"Apprend qu'à son arrivée aux Enfers, l'ancien Grand Pope fut jugé par ses Majestés Thanatos et Hypnos, notre Seigneur ne s'étant pas encore réincarné, et par conséquent, les 108 étoiles maléfiques ne pouvant pas encore interagir avec le Monde des Morts."
"Sache cependant que sa punition dans l'une des huit prisons ne fut que de courte durée, car à son retour dans Son royaume, notre maître décida de lui faire subir le reste de son châtiment dans une zone isolée des Enfers. Ce qui signifie qu'Il avait certainement des projets à son égard depuis ce moment-là."

- "Vous avez sans doute raison, Majesté. Notre souverain est quelqu'un de fort prévoyant."

- "Oui."
"Mais revenons à ce qui nous concerne : si je t'ai convoqué, Rune, c'est pour une raison bien précise : je désire que tu me remplaces à mon poste au Tribunal Infernal."

- "Moi, Majesté ? Mais..."

- "Ne te sous-estime pas : tu fais déjà partie de mes vassaux directs, et tu es sans doute le plus exemplaire parmi eux. De plus, tu m'as déjà secondé à la Cour. Enfin, le conflit que va éclater impliquera que je devrais me concentrer exclusivement sur mon rôle de chef d'armée. C'est pour cela que j'ai procédé à ce choix, avec l'accord de sa Majesté Pandore."

- "C'est un honneur pour moi que de vous servir, Majesté. Je vous promets de me montrer digne de la confiance que vous m'accordez."

Le Spectre du Balrog s'inclina respectueusement.
 

Le Tribunal des Enfers
 

Cinq.
Ce fut comme si il avait reçu cinq blessures coup sur coup.

Il mit un certain temps avant d'accepter que ce qu'il lisait était bel et bien la vérité.

Cinq chevaliers d'or de la génération actuelle comptaient parmi les défunts. Cinq de ces êtres d'exception qu'il avait lui-même rassemblés étaient décédés avant même le déclenchement de la Guerre Sainte pour laquelle on les avait pourtant préparés.

Deux lignes sur les cinq furent sensiblement plus douleureuses.

L'une indiquait que le condamné avait été envoyé dans la Mare de Sang de la sixième Prison, lieu réservé à ceux qui se complaisent dans le meurtre.

L'autre mentionnait - fait unique - plusieurs lieux de condamnation. Et parmi les péchés attribués, le premier de la liste était... tentative de déicide.

L'ancien Grand Pope était complètement ébranlé.

Mais ce n'était pas tout : il remarqua que les cinq Chevaliers d'or était tous morts le même jour.
Et en approfondissant encore plus ses investigations, il découvrit même que plusieurs Chevaliers d'argent - dont les noms lui était parfaitement inconnus - s'étaient éteints relativement peu de temps auparavant.

Il ne put se retenir d'interrroger l'Empereur des Ténèbres. Il s'efforça tout de même de contenir le trouble qui l'habitait :

- "Je remarque que plusieurs chevaliers des temps présents ont perdu la vie récemment. Cela signifie-t-il que le Sanctuaire contemporain est déjà entré en conflit avec... une autre puissance ? "

- "Une guerre interne a éclaté, opposant l'Usurpateur à Athéna." le renseigna succintement le Dieu des Enfers.

Bien sûr. Avec le recul, il était logique d'imaginer que les effets consécutifs au Mal présent dans le coeur de Saga auraient difficilement pu se limiter à un assassinat.
Mais cela n'empêchait pas l'ancien Chevalier du Bélier d'être profondément surpris et abattu.

Malgré le peu de temps qu'il avait connu la plupart d'entre eux, il avait toujours considéré les onze nouveaux Chevaliers d'or comme ses propres enfants. Il s'en voulait énormément de n'avoir pu déceler les signes avant-coureurs des échecs futurs. La dualité de Saga, les pulsions sanguinaires du Chevalier du Cancer...
Voir de plus que près de la moitié d'entre eux étaient tombés avant...

Non.

Il y avait encore un moyen pour eux de réaliser leurs destinées.
Et Sion pouvait encore les aider à emprunter cette voie.

- "Majesté... Puis-je soumettre à votre jugement une proposition ? "
 

Fin du Chapitre 2

Cette fanfic est la propriété de Hugo Duvergey (c) 2005
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