Chasse Eternelle Chap.5
-Le Scorpion des Glaces-

 
   
"Le chevalier d'Or Euryphon du Scorpion a été l'ambassadeur du Sanctuaire en Asgard de nombreuses fois. Son amitié avec le Thane Hangagud ne fait que renforcer le ressentiment du peuple envers un homme qui a conduit le mal en nos terres." - Vikar, sixième haut prêtre du culte d'Odin, 1253.

"L'i.......ion du Sanctuaire......................monde a provoqué.............diable chute. Nous...avons......pu.......contre eux..........apporté le malheur..........malgré tous.....efforts. Nous voulions............défendre.......voulions juste........Pour.......le Souverain éternel du.......j'ai dû..... et tous.......Puisse...........me pardonner." - Valfodr, Thane, Protecteur d'Asgard.

 

"Bienvenue chevalier. Nous vous attendions.
- Vous m'attendiez ?
- Nous surveillons assidûment nos frontières, vous devez vous en doutez. Nos hommes nous ont informés de votre présence depuis deux jours déjà. Suivez-moi, je vous prie."

   Euryphon était parti depuis une semaine, et avait traversé l'Europe afin de se rendre en Asgard. Ce n'était pas la première fois qu'on l'y envoyait, mais le climat lui était toujours aussi insupportable. Lui, un Athénien de naissance, nourri de soleil et bercé par les odeurs du large, abhorrait ces pays nordiques, si froids, si lugubres. La population vivait emmitouflée dans d'épaisses fourrures, condamnée à se nourrir des fruits de la chasse et de la pêche. Pas un arbre fruitier, pas un véritable champ. Comment ces gens pouvaient-ils accepter ça ? Autant qu'il s'en souvienne, il n'y avait jamais vu la lumière du soleil percer dans ces contrées. Quand il avait traversé la petit capitale de cette nouvelle nation, il n'avait pu regarder ses habitants dans les yeux, tellement leur misère contrastait avec ses propres vêtements, et surtout avec l'urne qu'il portait sur le dos. Même en l'absence de soleil, celle-ci rayonnait, et semblait attirer les gens, comme des insectes le seraient par la lumière d'une torche. Il avait marché dans ces rues, les yeux baissés, les lèvres soudées l'une à l'autre, fermant son esprit à toutes ces âmes qui le regardaient avec inquiétude, envie. Jalousie. Haine. Il avait reconnu une jeune fille parmi les spectateurs de son passage, et s'était éloigné le plus vite possible. Sa dernière visite s'était mal passée. Le serviteur qui l'attendait, au pied des marches du gigantesque palais, semblait l'attendre depuis longtemps. Euryphon constata une fois de plus que dans ce pays, il valait mieux être au service des maisons nobles que de vivre libre, et d'être alors pauvre, tant ses vêtements chatoyants et son embonpoint dénotaient. Le serviteur à la livrée flamboyante l'entraîna dans les couloirs et les halls du palais. Là encore, il s'efforça de ne pas penser aux regards pleins de mépris qui accompagnaient son passage. Après plusieurs minutes, ils débouchèrent dans une immense salle à colonnades, donnant directement sur l'extérieur, vers une large cour pavée surplombant toute la ville. C'était là que le peuple se réunissait pour prier. Une homme de haute stature, au visage buriné et parsemé de rides, admirait distraitement la vue, en portant par moment à ses lèvres une coupe richement ornée.

"Seigneur, le chevalier Euryphon vient d'arriver.
- Entrez, chevalier d'Or. Venez prendre une coupe."

   Euryphon s'avança jusqu'à la balustrade devant laquelle se tenait l'homme, sans prendre le temps de se servir à boire. Le serviteur se précipita immédiatement pour remplir une coupe, et vint lui tendre.

"Je n'ai pas soif, seigneur Valfodr.
- Prenez une coupe, Euryphon."

   Euryphon obtempéra sur-le-champ. Valfodr n'était pas de ceux à qui on pouvait refuser quoi que ce soit. Il s'agissait aussi de ménager Asgard le plus possible, étant donné le résultat de ses dernières visites. Et surtout, le ton glacial de cette dernière phrase, combiné au cosmos presque palpable du seigneur Valfodr, achevèrent de le convaincre. Mais cette hostilité disparut la seconde d'après, masquée par une apparente courtoisie.

"Alors, Euryphon, chevalier d'Or du Scorpion, émissaire favori de ce cher Grand Pope, qu'est-ce que le pauvre peuple d'Asgard peut faire pour combler vos désirs ? Souhaiteriez-vous éventuellement tuer un ou deux de nos gardes ? Des civils, peut-être ?
- Je n'ai fait que me défendre, seigneur Valfodr.
- Bien sûr. Il est vrai que ces deux soldats constituaient une terrible menace pour un chevalier de votre...envergure...le sourire qui illumina le visage de Valfodr faillit faire sortir Euryphon de ses gonds. Tout comme le frère de l'un d'entre eux, qui voulait le venger.
- Ils m'ont attaqué, et ils l'ont payé. Je n'ai pas à me justifier devant vous. Le chevalier ne supportait pas qu'on lui rappelle ces "incidents". Il était en train de perdre son sang-froid.
- Savez-vous que la jeune soeur de ces deux braves hommes a juré devant Odin de vous tuer ? Il me semble que ses termes exacts étaient: "lui arracher le coeur et le jeter aux chiens sauvages qui fouillent les ordures du palais". Elle a 16 ans, et me semble très douée pour le maniement des armes. Il faut dire que depuis l'année dernière, elle s'entraîne durement tous les jours. A croire qu'elle n'a plus qu'une idée en tête...je me demande tout d'un coup si je ne vais pas lui proposer d'entrer à mon service, pour qu'elle bénéficie d'une formation plus...adéquate. Mais je parle, je parle, et je ne vous laisse même pas exposer le but de votre charmante visite...
- Je viens pour...
- Seigneur Valfodr ! Euryphon ! Vous auriez pu m'attendre !"

Un jeune homme d'une vingtaine d'années venait d'entrer avec grand fracas. Hangagud, neveu de Valfodr, était très différent de son oncle. Bien plus petit, joyeux, désinvolte. Un vrai noble, qui jouissait allègrement de la vie. Mais autant qu'il s'en souvienne, Hangagud n'avait aucune espèce de pouvoir en Asgard et, connaissant son oncle, ce dernier aurait déjà dû le jeter par dessus la balustrade pour avoir osé intervenir. Pourtant, le chevalier d'or vit Valfodr se contenter de poser une main sur le marbre qui les séparait du vide, et serrer les dents tandis que la pierre commençait à se fissurer.

"Hangagud, qu'est ce que tu fais là ?
- Le seigneur (Valfodr avait donné à ce titre une consonance étrange) Hangagud est à présent le représentant spirituel du seigneur Odin. Il succède au seigneur Bjar, mort il y a 4 mois.
- Veuillez m'excuser seigneur Hangagud, je ne savais pas.
- Ce n'est rien Euryphon. Et inutile de me vouvoyer, mes amis n'ont pas à s'embarrasser de formalités. Alors, que pouvons-nous faire pour toi ? On t'a servi à boire ? Bien !"

   Hangagud, comme à son habitude, accueillait Euryphon comme un ami. Très bavard, il n'arrêtait pas de jacasser, et ne pouvait s'empêcher de se mêler de tout ce qui ne le regardait pas. Un jeune aristocrate frivole et exubérant. Valfodr, sous les coups d'oeil inquiets du chevalier d'Or, cessa d'un seul coup d'appuyer sur la balustrade et fit volte-face pour se diriger doit vers la sortie.

"Seigneur Valfodr ! Mon oncle, où allez vous ?
- M'occuper d'affaires urgentes. Il faut bien que certains travaillent, ici."

   Valfodr poussa les portes un peu trop violemment, et même Hangagud frémit en entendant les portes s'écraser contre le mur, manquant de sortir de leurs gonds. Mais le jeune homme se reprit bien vite et afficha son plus beau sourire au Scorpion.

"Bien, que pouvons-nous faire pour le Sanctuaire, Euryphon ? Je veux t'aider de mon mieux. Nous devons nous entraider après tout, n'est-ce pas ?
- C'est tout ce que je souhaite. Je me contente d'enquêter sur quelque chose d'inhabituel. Le grand Pope a jugé bon de m'envoyer ici.
- Ah ? Bien, nous sommes toujours heureux de venir en aide au Sanctuaire.
- En es-tu sûr, Hangagud ? Ton oncle n'avait pas l'air de cet avis...
- Laisse Valfodr. Il a beaucoup de soucis en ce moment. Rien qui puisse te concerner. Il y a eu des...bouleversements dans le gouvernement d'Asgard ces derniers temps. Ça ne plaît pas à tout le monde.
- Et tu es devenu représentant d'Odin ?
- Eh oui ! On peut dire que ce fut une surprise ! Je crois bien être le plus jeune Thane qu'Asgard ait jamais connu !"

   Hangagud avait commencé à marcher le long de l'interminable balustrade qui surplombait la place des prières. La neige continuait de tomber, inlassablement. Le chevalier d'Or ne parvenait pas à comprendre pourquoi ces gens s'obstinaient à vivre ici, alors que des terres plus accueillantes les attendaient au sud. Mais en observant le regard distrait et rêveur du représentant d'Odin sur le paysage -le même que celui de Valfodr- il finit par comprendre quelque chose: la fierté. La fierté d'appartenir à une nation qui a su s'élever malgré tous ses ennemis, malgré les circonstances catastrophiques de sa création, il y a à peine deux siècles. Et peut-être pouvait-il lire, au fond de ce regard, des projets, des espoirs. Encore une fois, le jeune homme reprit vite ses esprits, et s'adressa de nouveau à son visiteur, en tendant le bras vers la capitale d'Asgard qu'ils dominaient totalement de l'endroit où ils se trouvaient.

"C'est beau, n'est-ce pas ? Ça l'est encore bien plus quand le soleil transperce complètement les nuages.
- Comment ? Il arrive qu'il fasse beau ici ?"

   Euryphon posait la question sincèrement, mais en s'efforçant de paraître plaisanter. Il n'avait jamais vu le moindre bout de soleil sortir de derrière ces épais nuages ici. Malgré ses efforts, Hangagud s'en aperçut facilement, et lui lança un sourire bienveillant. Euryphon rougit légèrement. Il savait très bien que les habitants d'Asgard étaient fiers, et susceptibles, et que lui-même était loin d'être un diplomate hors pair. Pourquoi diable le Pope s'était-il mit en tête de le nommer officieusement ambassadeur en Asgard ? Hangagud se remit à marcher, suivi du Scorpion.

"Oui, crois-moi, les nuages se dissipent parfois. On peut alors admirer les rayons du soleil se refléter sur la neige et la glace, illuminant le palais, les forêts...malheureusement, la nature n'est pas tendre avec nous. Mais qu'importe. Un jour, nous trouverons une solution à ce problème.
- Une solution ? Et comment le peuple d'Asgard pourrait-il changer le climat de son pays ? C'est absurde..."

   Hangagud tourna la tête vers lui, et Euryphon fut, pendant un instant, même pas une seconde, effrayé. Le visage de son ami en effet arborait une expression qu'il ne lui connaissait pas. Provocatrice, pleine de défi. Mais son air calme et enjoué revint bien vite. Hangagud lui souriait de toute ses dents, tout en reprenant sa marche.

"Il existe une légende ici...une vieille légende, qui date de bien avant la fondation d'Asgard. D'après certains...ancêtres du Conseil, c'est en partie à cause d'elle qu'Odin et ses compagnons se sont établis ici.
- Une légende sur le climat ? Euryphon était dubitatif. Il ne voyait vraiment rien qui puisse changer une telle situation, fut-ce une légende.
- Presque, presque...Yggdrasil, l'Arbre du Monde.
- L'Arbre du Monde ?
- Yggdrasil. L'Arbe du Monde. L'Arbre dispensateur de vie. l'Arbre de Souffrance.
- Pardon, mais je ne suis pas spécialiste des légendes, et encore moins celles du Nord...
- Ça ne fait rien. Ce n'est qu'une histoire, que racontent les vieillards à leurs petits-enfants, au coin du feu. Cette légende, c'est l'espoir du peuple, c'est tout. N'en parlons plus. Revenons-en au but de ta visite.
- Le Sanctuaire a eu vent de la présence sur le continent de nombreuses personnes portant des...armures.
- Des armures ? Oooooh, mais quelle découverte mon ami ! Il me semble bien qu'un certain nombre de peuples utilisent des...armures. La recherche risque d'être longue...
- Ne te moque pas de moi ! Je n'y peux rien...il s'agirait d'armures sacrées, et le Grand Pope semble vraiment croire à ces rumeurs...
- Et qui te dis qu'il n'a pas raison de s'y intéresser au fond ? C'est peut-être vrai...le Sanctuaire n'a pas le monopole des belles protections rutilantes, à ce que je sache.
- Aucun dieu majeur ne s'est réveillé, d'après le Grand Pope.
- Ah...eh bien...nous verrons ça demain. Va te reposer, et surtout profite de ce que nous pouvons t'offrir. Les invités de marque se font rares ces temps-ci."

   Hangagud lui fit un grand sourire, puis se retourna et s'éloigna. un homme se précipita instantanément pour le conduire à sa chambre. Ce dernier était approximativement du même âge que lui, de la même taille mais bien plus musclé. Avec un visage calme et doux, encadré par des boucles blondes, qui contrastait grandement avec son impressionnante carrure.

   "Seigneur Euryphon, vous avez de la chance. le Seigneur Hangagud vous a attribué la plus belle pièce de tout le palais.
- Ah oui ? Parfaitement inutile. Je me serais contenté d'une petite chambre avec un lit...
- Il a aussi insisté pour mettre à votre service quelques unes des plus belles jeunes femmes qui servent au palais, seigneur.
- ...arrêtez de m'appeler seigneur...
- Comme vous voudrez...maître...
- ...bon, laissez tomber. Dites-moi, à voir votre carrure, vous n'êtes pas un serviteur...et je ne vous ai jamais vu.
- C'est vrai, je ne suis ici que depuis peu de temps. Je n'était pas là lors de votre dernier passage. Heureusement d'ailleurs, je n'aurais pas voulu faire partie de ceux qui ont croisé votre route. Euryphon fit la grimace en entendant ces mots. Cette histoire devrait probablement le hanter jusqu'à la fin de ses jours. Je fais partie de la Maison Modi, à l'est. Je me nomme Baleygr. Il est normal pour les jeunes gens des grandes familles de venir au Walhalla lorsque leur âge leur permet de commencer leur apprentissage martial.
- Jouer les serviteurs fait partie de l'entraînement ?
- Disons qu'il s'agit plutôt d'apprendre à obéir...nous voici arrivés. N'hésitez pas à appeler au moindre besoin. Reposez-vous bien..."

   Baleygr le quitta très vite, l'abandonnant dans une pièce immenses aux murs de marbre blanc, auxquels étaient apposés des tapisseries absolument magnifiques. Les fenêtres étaient petites et clairsemées, ne laissant que peu passer la faible lumière de la lune. Etrange, le ciel était souvent dégagé la nuit, comme il l'avait déjà constaté par le passé. La chaude lueur émise des chandeliers se reflétait sur la pierre, et donnait à l'ensemble un aspect à la fois lugubre et grandiose. C'était bien la première fois qu'on le logeait dans une telle chambre. A côté de ça, la Maison du Scorpion faisait pâle figure. Quelque peu intimidé, Euryphon s'approcha d'une des tapisseries pour l'examiner, après avoir déposé l'urne du Scorpion près d'une somptueuse table de bois sculpté. Le réalisme de la scène qu'il découvrait le laissait rêveur, et il tendit doucement un main vers le tissu pour en apprécier la qualité.

"Ces tapisseries ont été confectionnées il y a près de deux siècles."

   Le chevalier du Scorpion retira vivement la main, surpris. Et surtout, en colère d'avoir pu être surpris. Il se retourna, prêt à toiser le visiteur, mais resta coi. Devant lui se tenait une jeune femme telle qu'il n'en avait jamais vu, du moins ailleurs qu'en Asgard. Grande, élancée, de longs cheveux blonds, elle contrastait radicalement avec les filles qu'il avait l'habitude de côtoyer en Grèce. Après quelques instants de parfait silence, la nouvelle venue brisa le silence.

"Celle sur laquelle vous paraissiez si concentré représente les guerriers qui accompagnaient le Seigneur Odin, lorsqu'il n'était encore qu'humain.
- Hein ? Euuh...ah oui, bien sûr, la...Euryphon se força a braquer ses yeux vers une autre direction...la tapisserie.
- Je me nomme Idunn, je suis à votre service pour la durée de votre séjour, à la demande du seigneur Hangagud. Elle reporta son regard sur le tissu. Ce sont les fondateurs d'Asgard. Une partie d'entre eux, en tout cas. Vous vous trouvez dans l'une des plus belles pièces du Walhalla. C'est notre histoire qui est contée sur ces murs.
- Je ne suis pas très fort en histoire...
- Il me semblait bien l'avoir entendu dire. Je me ferais une joie de combler vos...la jeune femme jeta un regard tel qu'Euryphon déglûtit involontairement...lacunes.
- Pa...pardon ? Mes ? "

   Idunn s'approcha du chevalier d'Or à pas lents et mesurés. Encore une fois, le regard du chevalier se portait involontairement là où il n'aurait pas dû, et il ne réussissait pas à s'en détourner. Avec effort, Euryphon parvint à jeter un bref coup d'oeil au visage de sa visiteuse. Il regarda derechef dans une autre direction, après avoir croisé des yeux bleus qui le transperçaient littéralement. Il fit semblant d'observer à nouveau les tentures, tout en épiant honteusement la jeune femme du coin de l'oeil tandis qu'elle traversait la pièce d'une démarche un peu trop suggestive à son goût. Après tout, il n'était là que pour enquêter. Le sourire qu'elle lui lança quand leurs yeux se rencontrèrent à nouveau le fit déglutir encore une fois. Arrivée près de lui, elle lui prit la main. Le coeur d'Euryphon s'arrêta un instant de battre et le visage du fier chevalier s'empourpra.

"Venez avec moi.
- Avec...avec vous ?"

   Elle l'entraîna dans une autre partie de la chambre. Le coeur du Scorpion eut un battement erratique quand il aperçut qu'elle le tirait vers le lit. Puis bizarrement il se résigna. Après tout...

"L'histoire de notre contrée commence ici.
- Hein ?
- La tapisserie. La jeune femme s'était plantée devant un des lourds tissus suspendus, et Euryphon avait continué à la fixer. Elle posa alors sa main sur le visage du chevalier, qui devint encore plus rouge. Puis l'obligea à tourner la tête pour regarder...je vous parlais de cette tapisserie. Mais je vous ennuie, je le vois bien. Je vais donc vous laisser vous reposer."

   La magnifique blonde fit volte-face et quitta sur-le-champ la pièce, sans même jeter un regard au chevalier d'Athéna. Qui la regarda partir, planté devant une tapisserie au demeurant superbe. A peine Idunn referma la porte derrière elle, qu'elle regardait furieusement un Baleygr goguenard.

"Alors, le Grec n'a pas voulu de toi ? C'est étonnant !
- Espèce d'abruti ! Qu'est-ce que tu fais là !
- Je m'acquitte de ma tâche, très chère camarade.
- M'épier ?
- Entre autre. Tu sais pourtant bien qu'Hangagud est...comment dire...soucieux de ses demoiselles..."

   Le jeune noble n'eut pas le temps d'esquiver la gifle, et se retrouva à masser sa joue endolorie, à moitié étendu sur le sol. L'étonnement passé, il ne put s'empêcher de sourire. Aussi belle et forte que susceptible. Il admira les jambes de la demoiselle qui s'éloignait d'un pas pressé, furieuse, jusqu'à ce qu'elle disparaisse au détour d'un couloir.

   Euryphon grogna et grimaça quand un mince rayon de soleil vint frapper son visage. Après quelques secondes de franc mécontentement, il ouvrit un oeil, surpris. Du soleil, en Asgard. Dix minutes plus tard, il ouvrait les portes qui donnaient sur le grand balcon de la veille. La scène qu'il découvrit le stupéfia: Hangagud, en tenue d'apparat, les bras levé vers le ciel, était tourné vers la place. En s'approchant du bord, Euryphon put voir une foule immense, mains jointes, qui priait. Puis subitement, un des six prêtres qui se tenaient de part et d'autres du jeune Thane entonna d'une voix grave un chant dont il ne comprenait pas un traître mot. Un instant plus tard, une femme parmi les six fit de même. Une fois que tous les prêtres eurent entamé le chant, ce fut au tour d'Hangagud de les imiter, d'une voix forte et claire. Le Scorpion reporta alors son attention sur la foule qui, d'un seul élan, leva les bras vers la gigantesque statue d'Odin, qui trônait glorieusement sur un des côtés de la place. Euryphon la découvrait littéralement: malgré plusieurs voyages, il n'y avait jamais véritablement prêté attention. Il n'en avait jamais admiré la simplicité, la beauté. Moins détaillée que celle d'Athéna, qui semblait calme et posée, respirant la sagesse et la paix, cette statue du dieu nordique dégageait une force, une puissance impressionnante. Tout en elle suggérait le courage, la volonté. Et sous un soleil que le chevalier n'aurait pas cru possible sous ces latitudes, elle étincelait. Ces yeux se posèrent ensuite sur le paysage qui s'étendait, au loin. La mer, toute proche et tellement lointaine à la fois, dont le bleu profond tranchait avec le blanc scintillant de la neige, brillait de mille feux. D'immenses arbres au sein des noires forêts d'épineux, qui ça et là, parsemait le paysage montagneux, étaient semblables à des lances pointées vers le ciel, défiant les dieux. La gorge serrée, Euryphon sentit une larme rouler sur sa joue, mais ne pensa tout simplement pas à l'essuyer, envoûté qu'il était par cette vision enchanteresse et la lente mélopée des fidèles. Ses yeux revinrent vers la foule, et s'attardèrent à la base de la statue. Celle-ci semblait sortir tout droit des entrailles de la terre, sculptée à même un rocher dont la base se perdait dans une crevasse qui semblait sans fond. En face de la statue se dressait une petite estrade qui surplombait la place. Les fidèles s'en tenaient à petit distance, et Euryphon pouvait y apercevoir des hommes et des femmes dont l'allure était radicalement différente de celle de la foule. Des livrées aux couleurs vives, ou au contraire d'un noir profond, juraient avec les peaux de bêtes et les grossiers manteaux de laine qui faisaient le quotidien des hommes du Nord. Ce qui étonnait le plus Euryphon, c'était le cosmos d'un blanc immaculé dans lequel baignait cette estrade. Ces nobles, il ne pouvait douter de leur statut, dont le cosmos était si pur, lui paraissaient être en harmonie totale avec le foule, la statue, et tout le reste. Au plus près de la statue se dressait Valfodr, entouré de sept hommes et femmes, les bras au ciel. Au pied de l'estrade, une vingtaine de nobles, en majorité des jeunes, priaient de même. il crut y reconnaître aussi bien Idunn que Baleygr. Les litanies se turent peu à peu, tandis que les cosmos déclinaient. L'enchantement laissait peu à peu la place à un sentiment de manque dans le coeur du Scorpion.

Euryphon sursauta quand la main d'Hangagud vint se poser sur son épaule. Il s'essuya rapidement les yeux, sous le regard amical du Thane.

"Impressionnant, n'est-ce pas ?
- Effectivement. Je me demande comment j'avais pu rater ça.
- Tu ne venais jamais aux bonnes périodes tout simplement. Nous faisons peu de cérémonies de cette envergure chaque année.
- C'est bien dommage...
- Crois-moi, c'est épuisant ! Et encore plus quand on est sensé mener la danse.
- Ta première ?
- Jusqu'ici j'étais cantonné au rôle de subalterne. Maintenant, c'est moi qui commande !"

   Il éclata de rire. Hangagud était joyeux, ce matin. Euryphon regarda la foule se disperser, tandis que la cérémonie s'achevait. Valfodr s'entretenait avec ceux qui avaient accompagné ses prières sur l'estrade, tandis que les jeunes nobles se dirigeaient tous vers le palais, encouragés -presque forcés- par quelques hommes de haute stature. Il put cette fois clairement reconnaître Idunn, qui sous ses yeux flanqua une gifle magistrale à Baleygr, sous les rires de leurs camarades. Un des hommes qui les encadraient dut bloquer la jeune femme de toute ses forces en la ceinturant pour l'empêcher de se jeter sur sa victime, tandis qu'un des nobles, d'une taille impressionnante, aidait Baleygr à se relever. Après quelques secondes, Idunn arrêta de se débattre puis tout le monde se remit en route, en prenant bien soin de tenir les deux adversaires à bonne distance.

 " Ce sont les enfants des familles nobles du pays. Ils doivent tous, dès leur seize ans, se rendre au Walhalla pour y débuter leur entraînement.
- Leur entraînement ? Vous avez pourtant des soldats, non ?
- Bien sûr, mais il s'agit de former des officiers, qui sauront diriger des troupes et les manoeuvrer efficacement. En plus d'en faire des guerriers émérites, évidemment.
- J'ai ressenti le cosmos des nobles sur l'estrade...
- Les meilleurs d'entre nous. Les sept plus puissants de nos combattants, si on ne compte pas mon oncle bien sûr. Ils sont notre meilleure protection, en cas d'attaque de nos voisins.
- Comment se fait-il que je ne les ai jamais vus ?
- Eh bien...non seulement tu ne restais jamais longtemps, mais en plus Valfodr n'est pas du genre à exhiber ses hommes. Si tu ne t'étais pas levé "aussi tôt", tu ne les aurais peut-être jamais vus. Hangagud lui fit un grand sourire, et Euryphon grimaça à la remarque. Tu sais pourtant que nous avons des ennemis tout autour de nous. Nous devons préserver nos terres et notre indépendance. Nous avons besoin de former des guerriers, et plus encore si ils sont aptes à contrôler leur cosmos. Nous ne disposons pas de douze chevaliers d'Or, parés de leurs armures étincelantes, suivis par une véritable armée...nous faisons ce que nous pouvons. Et puis, tu t'imagines bien que pour bâtir Asgard, il a fallu que notre seigneur Odin soit bien accompagné.
- Je ne suis pas doué en histoire...
- Ah oui c'est vrai. A l'occasion, tu n'as qu'à lever les yeux sur les tapisseries de ta chambre, elle relatent nos origines.
- Oui, je sais...Euryphon remarqua le petit sourire en coin de son ami. Et ça l'agaçait. Il se débrouilla pour rapidement changer de sujet.
- La dévotion de la population est vraiment impressionnante. Tout le monde à l'air de beaucoup s'impliquer.
- Supplier son dieu pour qu'il apporte le réconfort à son peuple est un devoir. Personne ne peut y échapper. Il en va de la vie même de ce pays.
- A ce point ?
- Cette terre est rude, bien plus que tu ne le crois. Si nous ne prions pas régulièrement Odin pour lui offrir notre force, il ne sera pas en mesure de la rendre habitable. Le Thane se tourna vers le Scorpion, et le regarde droit dans les yeux. Si nous ne prions pas, tout gèlera et personne n'en réchappera. Nous prions pour une nature plus clémente.
- Je...je suis désolé, je ne pensais pas que...Euryphon ne savait effectivement pas que Asgard devait uniquement son existence à la volonté d'Odin.
- Ce n'est rien. Tout le monde ici accepte son sort et remplit son devoir avec fierté. Nouveau grand sourire d'Hangagud. C'est grâce à tout ça que nous pouvons vivre librement, loin de tous les tyrans du Sud. Allez, assez bavardé, aujourd'hui c'est visite guidée.
- Hein ?
- Ce pauvre Valfodr ne t'a jamais montré grand chose ici, teigneux comme il est. Il y a pourtant plein de choses à admirer."

   Bien plus au sud, en Grèce, le Grand Pope attendait nerveusement les rapports de ses hommes sur les récents évènements. Il en avait bien sûr eu connaissance par l'intermédiaire de la divination, mais les étoiles de Star Hill ne lui transmettaient plus de messages clairs depuis quelques temps. Les images étaient contradictoires, et il ne pouvait plus les interpréter correctement. Peut-être était-il réellement trop vieux à présent. Proclès, à sa droite, les bras croisés, lui jetait des regards anxieux, tout en faisant mine de ne pas s'inquiéter. A sa gauche, un vieil homme, entièrement recouvert d'une longue robe noire et la tête couverte par une capuche, attendait patiemment. Son visage creusé de rides témoignait de son âge avancé, de même que sa longue barbe blanche. Et surtout ses yeux, vifs et alertes, contrastant avec son apparence générale, analysaient froidement tout ce qui l'entourait. Les battants de la grande porte grincèrent et trois chevaliers pénétrèrent dans la salle, s'avancèrent jusqu'au pied de l'estrade et mirent un genou à terre.

"Calchas, chevalier de Bronze du Petit Lion, ainsi que les chevaliers de Bronze Numitor du Serpent et Rhésos du Petit Cheval, nous répondons à votre convocation.
- Relevez vous, chevaliers. Expliquez-moi tout en détail.
- Bien Grand Pope. Selon les ordre du chevalier d'Or du Taureau, nous avons parcouru les régions où sont sensées avoir été aperçus ces mystérieux chevaliers. Et...nous les avons rencontrés. Dracon fronça les sourcils derrière son masque. C'est ce que les étoiles lui avaient révélé, mais il ignorait en grande partie le reste. La rencontre n'a pas été des plus...amicales.
- C'est-à-dire ?
- Nous avons dû nous défendre. Le chevalier du Petit Lion brandit devant lui un casque fissuré, d'un noir profond. Non seulement ils maîtrisaient le cosmos, mais ils portaient ces armures.
- Quel est ton estimation de leur niveau ? Le Grand Pope vit le chevalier hésiter un moment avant de répondre.
- Variable. Nous avons vaincus sans trop de difficultés la plupart d'entre eux, mais celui qui était apparemment leur chef était bien plus fort. Il a...facilement tué Memnon. Dracon eut un imperceptible frisson.
- Memnon ? Dracon encaissa très mal le choc. Ce jeune garçon, il l'avait recueilli lui-même, lors d'une de ses visites à Athènes. Un malheureux clochard, dont les parents vivaient de façon misérable dans un des taudis de la cité. Le chevalier de Bronze de Cassiopée allait lui manquer.
- Oui Grand Pope. Il n'a même pas eu le temps de répliquer. Nous avons dû nous mettre à trois sur l'ennemi pour le vaincre."

   Le coeur du Grand Pope se serra. Il se sentait responsable de la mort du chevalier. Tout comme il s'en voulait d'avoir envoyé ces jeunes hommes à un combat auxquels ils ne s'attendaient pas. Soudain la porte à double battant s'ouvrit à fracas, et deux gardes qui portaient un chevalier entrèrent, suivi du chevalier d'Or du Capricorne. Tout le monde se tourna vers eux, et les chevaliers de Bronze ainsi que Proclès se précipitèrent vers le blessé, tandis que le Pope devinait avec douleur ce qui s'était passé. Les gardes posèrent le chevalier de Bronze sur le sol de marbre et s'écartèrent.

   "Harkouf, le chevalier de Bronze de l'Ecu, a été ramené par le chevalier Hippias. Son état était déjà grave, mais la montée des marches n'a rien arrangé.
- Hippias, où l'as tu trouvé ? Proclès s'adressait au chevalier du Capricorne avec un empressement qui heurta quelque peu l'assemblée. Proclès n'était pas du genre à s'emporter très vite, mais cette fois c'était différent. Les événements le troublaient réellement. C'était lui qui avait organisé les groupes de chevaliers.
- Près de Sparte. Il était dans un sale état. je l'ai ramené le plus vite possible. Malheureusement il était trop tard pour les deux autres. Ils étaient déjà morts.
- Les deux autres ?! L'étau se referma un peu plus sur le coeur de Dracon. Le blessé ouvrit les yeux et tenta de se redresser sur un coude, avant de s'écrouler lourdement. Il tourna lentement la tête vers Proclès, et articula quelques mots vagues, entre deux quintes de toux.
- "Lygdamis...tué par...eux...ses yeux se tournèrent vers le casque noir que le Petit Lion tenait toujours...Pasiclès...achevé...massacrés...pas laisser faire...son regard se tourna finalement vers le Capricorne et tendit vers lui une main tremblante ...Hippias...pas laisser...puis il eut un soubresaut, et s'éteignit, dans les bras de Rhésos, le regard mort toujours tourné vers le chevalier d'Or. Hippias s'avança pour lui fermer les yeux.
- Ceux qui vous ont fait ça finiront par le payer. Tu as ma parole, chevalier.
- Organisez le rapatriement des corps et des armures. Hippias, va chercher Charilaos, où qu'il soit."

   Hippias se redressa, puis repartit lentement vers la sortie, laissons les chevaliers de Bronze s'occuper de leur compagnon, alors que Proclès fulminait. Ses yeux étincelaient de rage, et son cosmos s'intensifiait, encore et encore. Ces chevaliers avaient été envoyés à la mort, parce qu'il avait mal estimé la situation. Les chevaliers étaient sur Terre pour se battre, et c'était invariablement la mort qui les attendait dans leur lutte pour la justice. Mais chacune de ces morts était comme une amputation pour le Taureau. Malgré les dissensions, malgré les dangers, ils restaient tous frères. Dracon, silencieux, ne laissait rien transparaître, et avait donné les derniers ordres avec un calme apparent. Mais sous son masque, les larmes ne cessaient de rouler sur ses joues, pendant qu'une pointe acérée lui lacérait l'âme et le coeur.

Fin du Chapitre 5

Cette fanfic est la propriété de Nicolas Morgenthaler (c) 2005
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