"Le chevalier d'Or Euryphon du
Scorpion a été l'ambassadeur du Sanctuaire en Asgard de nombreuses
fois. Son amitié avec le Thane Hangagud ne fait que renforcer le
ressentiment du peuple envers un homme qui a conduit le mal en nos
terres." - Vikar, sixième
haut prêtre du culte d'Odin, 1253.
"L'i.......ion du
Sanctuaire......................monde a
provoqué.............diable chute. Nous...avons......pu.......contre
eux..........apporté le malheur..........malgré tous.....efforts.
Nous voulions............défendre.......voulions
juste........Pour.......le Souverain éternel du.......j'ai dû.....
et tous.......Puisse...........me pardonner." -
Valfodr, Thane, Protecteur d'Asgard.
"Bienvenue chevalier.
Nous vous attendions.
- Vous m'attendiez ?
- Nous surveillons assidûment nos frontières, vous devez vous en
doutez. Nos hommes nous ont informés de votre présence depuis deux
jours déjà. Suivez-moi, je vous prie."
Euryphon
était parti depuis une semaine, et avait traversé l'Europe afin de
se rendre en Asgard. Ce n'était pas la première fois qu'on l'y
envoyait, mais le climat lui était toujours aussi insupportable.
Lui, un Athénien de naissance, nourri de soleil et bercé par les
odeurs du large, abhorrait ces pays nordiques, si froids, si
lugubres. La population vivait emmitouflée dans d'épaisses
fourrures, condamnée à se nourrir des fruits de la chasse et de la
pêche. Pas un arbre fruitier, pas un véritable champ. Comment ces
gens pouvaient-ils accepter ça ? Autant qu'il s'en souvienne, il
n'y avait jamais vu la lumière du soleil percer dans ces contrées.
Quand il avait traversé la petit capitale de cette nouvelle
nation, il n'avait pu regarder ses habitants dans les yeux,
tellement leur misère contrastait avec ses propres vêtements, et
surtout avec l'urne qu'il portait sur le dos. Même en l'absence de
soleil, celle-ci rayonnait, et semblait attirer les gens, comme
des insectes le seraient par la lumière d'une torche. Il avait
marché dans ces rues, les yeux baissés, les lèvres soudées l'une à
l'autre, fermant son esprit à toutes ces âmes qui le regardaient
avec inquiétude, envie. Jalousie. Haine. Il avait reconnu une
jeune fille parmi les spectateurs de son passage, et s'était
éloigné le plus vite possible. Sa dernière visite s'était mal
passée. Le serviteur qui l'attendait, au pied des marches du
gigantesque palais, semblait l'attendre depuis longtemps. Euryphon
constata une fois de plus que dans ce pays, il valait mieux être
au service des maisons nobles que de vivre libre, et d'être alors
pauvre, tant ses vêtements chatoyants et son embonpoint
dénotaient. Le serviteur à la livrée flamboyante l'entraîna dans
les couloirs et les halls du palais. Là encore, il s'efforça de ne
pas penser aux regards pleins de mépris qui accompagnaient son
passage. Après plusieurs minutes, ils débouchèrent dans une
immense salle à colonnades, donnant directement sur l'extérieur,
vers une large cour pavée surplombant toute la ville. C'était là
que le peuple se réunissait pour prier. Une homme de haute
stature, au visage buriné et parsemé de rides, admirait
distraitement la vue, en portant par moment à ses lèvres une coupe
richement ornée.
"Seigneur, le chevalier
Euryphon vient d'arriver.
- Entrez, chevalier d'Or. Venez prendre une coupe."
Euryphon
s'avança jusqu'à la balustrade devant laquelle se tenait l'homme,
sans prendre le temps de se servir à boire. Le serviteur se
précipita immédiatement pour remplir une coupe, et vint lui
tendre.
"Je n'ai pas soif,
seigneur Valfodr.
- Prenez une coupe, Euryphon."
Euryphon
obtempéra sur-le-champ. Valfodr n'était pas de ceux à qui on
pouvait refuser quoi que ce soit. Il s'agissait aussi de ménager
Asgard le plus possible, étant donné le résultat de ses dernières
visites. Et surtout, le ton glacial de cette dernière phrase,
combiné au cosmos presque palpable du seigneur Valfodr, achevèrent
de le convaincre. Mais cette hostilité disparut la seconde
d'après, masquée par une apparente courtoisie.
"Alors, Euryphon,
chevalier d'Or du Scorpion, émissaire favori de ce cher Grand
Pope, qu'est-ce que le pauvre peuple d'Asgard peut faire pour
combler vos désirs ? Souhaiteriez-vous éventuellement tuer un ou
deux de nos gardes ? Des civils, peut-être ?
- Je n'ai fait que me défendre, seigneur Valfodr.
- Bien sûr. Il est vrai que ces deux soldats constituaient une
terrible menace pour un chevalier de votre...envergure...le
sourire qui illumina le visage de Valfodr faillit faire sortir
Euryphon de ses gonds. Tout comme le frère de l'un d'entre
eux, qui voulait le venger.
- Ils m'ont attaqué, et ils l'ont payé. Je n'ai pas à me justifier
devant vous. Le chevalier ne supportait pas qu'on lui rappelle
ces "incidents". Il était en train de perdre son sang-froid.
- Savez-vous que la jeune soeur de ces deux braves hommes a juré
devant Odin de vous tuer ? Il me semble que ses termes exacts
étaient: "lui arracher le coeur et le jeter aux chiens sauvages
qui fouillent les ordures du palais". Elle a 16 ans, et me semble
très douée pour le maniement des armes. Il faut dire que depuis
l'année dernière, elle s'entraîne durement tous les jours. A
croire qu'elle n'a plus qu'une idée en tête...je me demande tout
d'un coup si je ne vais pas lui proposer d'entrer à mon service,
pour qu'elle bénéficie d'une formation plus...adéquate. Mais je
parle, je parle, et je ne vous laisse même pas exposer le but de
votre charmante visite...
- Je viens pour...
- Seigneur Valfodr ! Euryphon ! Vous auriez pu m'attendre !"
Un jeune homme d'une
vingtaine d'années venait d'entrer avec grand fracas. Hangagud,
neveu de Valfodr, était très différent de son oncle. Bien plus
petit, joyeux, désinvolte. Un vrai noble, qui jouissait
allègrement de la vie. Mais autant qu'il s'en souvienne, Hangagud
n'avait aucune espèce de pouvoir en Asgard et, connaissant son
oncle, ce dernier aurait déjà dû le jeter par dessus la balustrade
pour avoir osé intervenir. Pourtant, le chevalier d'or vit Valfodr
se contenter de poser une main sur le marbre qui les séparait du
vide, et serrer les dents tandis que la pierre commençait à se
fissurer.
"Hangagud, qu'est ce que
tu fais là ?
- Le seigneur (Valfodr avait donné à ce titre une consonance
étrange) Hangagud est à présent le représentant spirituel du
seigneur Odin. Il succède au seigneur Bjar, mort il y a 4 mois.
- Veuillez m'excuser seigneur Hangagud, je ne savais pas.
- Ce n'est rien Euryphon. Et inutile de me vouvoyer, mes amis
n'ont pas à s'embarrasser de formalités. Alors, que pouvons-nous
faire pour toi ? On t'a servi à boire ? Bien !"
Hangagud,
comme à son habitude, accueillait Euryphon comme un ami. Très
bavard, il n'arrêtait pas de jacasser, et ne pouvait s'empêcher de
se mêler de tout ce qui ne le regardait pas. Un jeune aristocrate
frivole et exubérant. Valfodr, sous les coups d'oeil inquiets du
chevalier d'Or, cessa d'un seul coup d'appuyer sur la balustrade
et fit volte-face pour se diriger doit vers la sortie.
"Seigneur Valfodr ! Mon
oncle, où allez vous ?
- M'occuper d'affaires urgentes. Il faut bien que certains
travaillent, ici."
Valfodr
poussa les portes un peu trop violemment, et même Hangagud frémit
en entendant les portes s'écraser contre le mur, manquant de
sortir de leurs gonds. Mais le jeune homme se reprit bien vite et
afficha son plus beau sourire au Scorpion.
"Bien, que pouvons-nous
faire pour le Sanctuaire, Euryphon ? Je veux t'aider de mon mieux.
Nous devons nous entraider après tout, n'est-ce pas ?
- C'est tout ce que je souhaite. Je me contente d'enquêter sur
quelque chose d'inhabituel. Le grand Pope a jugé bon de m'envoyer
ici.
- Ah ? Bien, nous sommes toujours heureux de venir en aide au
Sanctuaire.
- En es-tu sûr, Hangagud ? Ton oncle n'avait pas l'air de cet
avis...
- Laisse Valfodr. Il a beaucoup de soucis en ce moment. Rien qui
puisse te concerner. Il y a eu des...bouleversements dans le
gouvernement d'Asgard ces derniers temps. Ça ne plaît pas à tout
le monde.
- Et tu es devenu représentant d'Odin ?
- Eh oui ! On peut dire que ce fut une surprise ! Je crois bien
être le plus jeune Thane qu'Asgard ait jamais connu !"
Hangagud
avait commencé à marcher le long de l'interminable balustrade qui
surplombait la place des prières. La neige continuait de tomber,
inlassablement. Le chevalier d'Or ne parvenait pas à comprendre
pourquoi ces gens s'obstinaient à vivre ici, alors que des terres
plus accueillantes les attendaient au sud. Mais en observant le
regard distrait et rêveur du représentant d'Odin sur le paysage
-le même que celui de Valfodr- il finit par comprendre quelque
chose: la fierté. La fierté d'appartenir à une nation qui a su
s'élever malgré tous ses ennemis, malgré les circonstances
catastrophiques de sa création, il y a à peine deux siècles. Et
peut-être pouvait-il lire, au fond de ce regard, des projets, des
espoirs. Encore une fois, le jeune homme reprit vite ses esprits,
et s'adressa de nouveau à son visiteur, en tendant le bras vers la
capitale d'Asgard qu'ils dominaient totalement de l'endroit où ils
se trouvaient.
"C'est beau, n'est-ce
pas ? Ça l'est encore bien plus quand le soleil transperce
complètement les nuages.
- Comment ? Il arrive qu'il fasse beau ici ?"
Euryphon
posait la question sincèrement, mais en s'efforçant de paraître
plaisanter. Il n'avait jamais vu le moindre bout de soleil sortir
de derrière ces épais nuages ici. Malgré ses efforts, Hangagud
s'en aperçut facilement, et lui lança un sourire bienveillant.
Euryphon rougit légèrement. Il savait très bien que les habitants
d'Asgard étaient fiers, et susceptibles, et que lui-même était
loin d'être un diplomate hors pair. Pourquoi diable le Pope
s'était-il mit en tête de le nommer officieusement ambassadeur en
Asgard ? Hangagud se remit à marcher, suivi du Scorpion.
"Oui, crois-moi, les
nuages se dissipent parfois. On peut alors admirer les rayons du
soleil se refléter sur la neige et la glace, illuminant le palais,
les forêts...malheureusement, la nature n'est pas tendre avec
nous. Mais qu'importe. Un jour, nous trouverons une solution à ce
problème.
- Une solution ? Et comment le peuple d'Asgard pourrait-il changer
le climat de son pays ? C'est absurde..."
Hangagud
tourna la tête vers lui, et Euryphon fut, pendant un instant, même
pas une seconde, effrayé. Le visage de son ami en effet arborait
une expression qu'il ne lui connaissait pas. Provocatrice, pleine
de défi. Mais son air calme et enjoué revint bien vite. Hangagud
lui souriait de toute ses dents, tout en reprenant sa marche.
"Il existe une légende
ici...une vieille légende, qui date de bien avant la fondation d'Asgard.
D'après certains...ancêtres du Conseil, c'est en partie à cause
d'elle qu'Odin et ses compagnons se sont établis ici.
- Une légende sur le climat ? Euryphon était dubitatif. Il ne
voyait vraiment rien qui puisse changer une telle situation,
fut-ce une légende.
- Presque, presque...Yggdrasil, l'Arbre du Monde.
- L'Arbre du Monde ?
- Yggdrasil. L'Arbe du Monde. L'Arbre dispensateur de vie. l'Arbre
de Souffrance.
- Pardon, mais je ne suis pas spécialiste des légendes, et encore
moins celles du Nord...
- Ça ne fait rien. Ce n'est qu'une histoire, que racontent les
vieillards à leurs petits-enfants, au coin du feu. Cette légende,
c'est l'espoir du peuple, c'est tout. N'en parlons plus.
Revenons-en au but de ta visite.
- Le Sanctuaire a eu vent de la présence sur le continent de
nombreuses personnes portant des...armures.
- Des armures ? Oooooh, mais quelle découverte mon ami ! Il me
semble bien qu'un certain nombre de peuples utilisent
des...armures. La recherche risque d'être longue...
- Ne te moque pas de moi ! Je n'y peux rien...il s'agirait
d'armures sacrées, et le Grand Pope semble vraiment croire à ces
rumeurs...
- Et qui te dis qu'il n'a pas raison de s'y intéresser au fond ?
C'est peut-être vrai...le Sanctuaire n'a pas le monopole des
belles protections rutilantes, à ce que je sache.
- Aucun dieu majeur ne s'est réveillé, d'après le Grand Pope.
- Ah...eh bien...nous verrons ça demain. Va te reposer, et surtout
profite de ce que nous pouvons t'offrir. Les invités de marque se
font rares ces temps-ci."
Hangagud
lui fit un grand sourire, puis se retourna et s'éloigna. un homme
se précipita instantanément pour le conduire à sa chambre. Ce
dernier était approximativement du même âge que lui, de la même
taille mais bien plus musclé. Avec un visage calme et doux,
encadré par des boucles blondes, qui contrastait grandement avec
son impressionnante carrure.
"Seigneur Euryphon,
vous avez de la chance. le Seigneur Hangagud vous a attribué la
plus belle pièce de tout le palais.
- Ah oui ? Parfaitement inutile. Je me serais contenté d'une
petite chambre avec un lit...
- Il a aussi insisté pour mettre à votre service quelques unes des
plus belles jeunes femmes qui servent au palais, seigneur.
- ...arrêtez de m'appeler seigneur...
- Comme vous voudrez...maître...
- ...bon, laissez tomber. Dites-moi, à voir votre carrure, vous
n'êtes pas un serviteur...et je ne vous ai jamais vu.
- C'est vrai, je ne suis ici que depuis peu de temps. Je n'était
pas là lors de votre dernier passage. Heureusement d'ailleurs, je
n'aurais pas voulu faire partie de ceux qui ont croisé votre
route. Euryphon fit la grimace en entendant ces mots. Cette
histoire devrait probablement le hanter jusqu'à la fin de ses
jours. Je fais partie de la Maison Modi, à l'est. Je me nomme
Baleygr. Il est normal pour les jeunes gens des grandes familles
de venir au Walhalla lorsque leur âge leur permet de commencer
leur apprentissage martial.
- Jouer les serviteurs fait partie de l'entraînement ?
- Disons qu'il s'agit plutôt d'apprendre à obéir...nous voici
arrivés. N'hésitez pas à appeler au moindre besoin. Reposez-vous
bien..."
Baleygr
le quitta très vite, l'abandonnant dans une pièce immenses aux
murs de marbre blanc, auxquels étaient apposés des tapisseries
absolument magnifiques. Les fenêtres étaient petites et
clairsemées, ne laissant que peu passer la faible lumière de la
lune. Etrange, le ciel était souvent dégagé la nuit, comme il
l'avait déjà constaté par le passé. La chaude lueur émise des
chandeliers se reflétait sur la pierre, et donnait à l'ensemble un
aspect à la fois lugubre et grandiose. C'était bien la première
fois qu'on le logeait dans une telle chambre. A côté de ça, la
Maison du Scorpion faisait pâle figure. Quelque peu intimidé,
Euryphon s'approcha d'une des tapisseries pour l'examiner, après
avoir déposé l'urne du Scorpion près d'une somptueuse table de
bois sculpté. Le réalisme de la scène qu'il découvrait le laissait
rêveur, et il tendit doucement un main vers le tissu pour en
apprécier la qualité.
"Ces tapisseries ont été
confectionnées il y a près de deux siècles."
Le
chevalier du Scorpion retira vivement la main, surpris. Et
surtout, en colère d'avoir pu être surpris. Il se retourna, prêt à
toiser le visiteur, mais resta coi. Devant lui se tenait une jeune
femme telle qu'il n'en avait jamais vu, du moins ailleurs qu'en
Asgard. Grande, élancée, de longs cheveux blonds, elle contrastait
radicalement avec les filles qu'il avait l'habitude de côtoyer en
Grèce. Après quelques instants de parfait silence, la nouvelle
venue brisa le silence.
"Celle sur laquelle vous
paraissiez si concentré représente les guerriers qui
accompagnaient le Seigneur Odin, lorsqu'il n'était encore
qu'humain.
- Hein ? Euuh...ah oui, bien sûr, la...Euryphon se força a
braquer ses yeux vers une autre direction...la tapisserie.
- Je me nomme Idunn, je suis à votre service pour la durée de
votre séjour, à la demande du seigneur Hangagud. Elle reporta
son regard sur le tissu. Ce sont les fondateurs d'Asgard. Une
partie d'entre eux, en tout cas. Vous vous trouvez dans l'une des
plus belles pièces du Walhalla. C'est notre histoire qui est
contée sur ces murs.
- Je ne suis pas très fort en histoire...
- Il me semblait bien l'avoir entendu dire. Je me ferais une joie
de combler vos...la jeune femme jeta un regard tel qu'Euryphon
déglûtit involontairement...lacunes.
- Pa...pardon ? Mes ? "
Idunn
s'approcha du chevalier d'Or à pas lents et mesurés. Encore une
fois, le regard du chevalier se portait involontairement là où il
n'aurait pas dû, et il ne réussissait pas à s'en détourner. Avec
effort, Euryphon parvint à jeter un bref coup d'oeil au visage de
sa visiteuse. Il regarda derechef dans une autre direction, après
avoir croisé des yeux bleus qui le transperçaient littéralement.
Il fit semblant d'observer à nouveau les tentures, tout en épiant
honteusement la jeune femme du coin de l'oeil tandis qu'elle
traversait la pièce d'une démarche un peu trop suggestive à son
goût. Après tout, il n'était là que pour enquêter. Le sourire
qu'elle lui lança quand leurs yeux se rencontrèrent à nouveau le
fit déglutir encore une fois. Arrivée près de lui, elle lui prit
la main. Le coeur d'Euryphon s'arrêta un instant de battre et le
visage du fier chevalier s'empourpra.
"Venez avec moi.
- Avec...avec vous ?"
Elle
l'entraîna dans une autre partie de la chambre. Le coeur du
Scorpion eut un battement erratique quand il aperçut qu'elle le
tirait vers le lit. Puis bizarrement il se résigna. Après tout...
"L'histoire de notre
contrée commence ici.
- Hein ?
- La tapisserie. La jeune femme s'était plantée devant un des
lourds tissus suspendus, et Euryphon avait continué à la fixer.
Elle posa alors sa main sur le visage du chevalier, qui devint
encore plus rouge. Puis l'obligea à tourner la tête pour
regarder...je vous parlais de cette tapisserie. Mais je vous
ennuie, je le vois bien. Je vais donc vous laisser vous reposer."
La
magnifique blonde fit volte-face et quitta sur-le-champ la pièce,
sans même jeter un regard au chevalier d'Athéna. Qui la regarda
partir, planté devant une tapisserie au demeurant superbe. A peine
Idunn referma la porte derrière elle, qu'elle regardait
furieusement un Baleygr goguenard.
"Alors, le Grec n'a pas
voulu de toi ? C'est étonnant !
- Espèce d'abruti ! Qu'est-ce que tu fais là !
- Je m'acquitte de ma tâche, très chère camarade.
- M'épier ?
- Entre autre. Tu sais pourtant bien qu'Hangagud est...comment
dire...soucieux de ses demoiselles..."
Le
jeune noble n'eut pas le temps d'esquiver la gifle, et se retrouva
à masser sa joue endolorie, à moitié étendu sur le sol.
L'étonnement passé, il ne put s'empêcher de sourire. Aussi belle
et forte que susceptible. Il admira les jambes de la demoiselle
qui s'éloignait d'un pas pressé, furieuse, jusqu'à ce qu'elle
disparaisse au détour d'un couloir.
Euryphon
grogna et grimaça quand un mince rayon de soleil vint frapper son
visage. Après quelques secondes de franc mécontentement, il ouvrit
un oeil, surpris. Du soleil, en Asgard. Dix minutes plus tard, il
ouvrait les portes qui donnaient sur le grand balcon de la veille.
La scène qu'il découvrit le stupéfia: Hangagud, en tenue
d'apparat, les bras levé vers le ciel, était tourné vers la place.
En s'approchant du bord, Euryphon put voir une foule immense,
mains jointes, qui priait. Puis subitement, un des six prêtres qui
se tenaient de part et d'autres du jeune Thane entonna d'une voix
grave un chant dont il ne comprenait pas un traître mot. Un
instant plus tard, une femme parmi les six fit de même. Une fois
que tous les prêtres eurent entamé le chant, ce fut au tour d'Hangagud
de les imiter, d'une voix forte et claire. Le Scorpion reporta
alors son attention sur la foule qui, d'un seul élan, leva les
bras vers la gigantesque statue d'Odin, qui trônait glorieusement
sur un des côtés de la place. Euryphon la découvrait
littéralement: malgré plusieurs voyages, il n'y avait jamais
véritablement prêté attention. Il n'en avait jamais admiré la
simplicité, la beauté. Moins détaillée que celle d'Athéna, qui
semblait calme et posée, respirant la sagesse et la paix, cette
statue du dieu nordique dégageait une force, une puissance
impressionnante. Tout en elle suggérait le courage, la volonté. Et
sous un soleil que le chevalier n'aurait pas cru possible sous ces
latitudes, elle étincelait. Ces yeux se posèrent ensuite sur le
paysage qui s'étendait, au loin. La mer, toute proche et tellement
lointaine à la fois, dont le bleu profond tranchait avec le blanc
scintillant de la neige, brillait de mille feux. D'immenses arbres
au sein des noires forêts d'épineux, qui ça et là, parsemait le
paysage montagneux, étaient semblables à des lances pointées vers
le ciel, défiant les dieux. La gorge serrée, Euryphon sentit une
larme rouler sur sa joue, mais ne pensa tout simplement pas à
l'essuyer, envoûté qu'il était par cette vision enchanteresse et
la lente mélopée des fidèles. Ses yeux revinrent vers la foule, et
s'attardèrent à la base de la statue. Celle-ci semblait sortir
tout droit des entrailles de la terre, sculptée à même un rocher
dont la base se perdait dans une crevasse qui semblait sans fond.
En face de la statue se dressait une petite estrade qui
surplombait la place. Les fidèles s'en tenaient à petit distance,
et Euryphon pouvait y apercevoir des hommes et des femmes dont
l'allure était radicalement différente de celle de la foule. Des
livrées aux couleurs vives, ou au contraire d'un noir profond,
juraient avec les peaux de bêtes et les grossiers manteaux de
laine qui faisaient le quotidien des hommes du Nord. Ce qui
étonnait le plus Euryphon, c'était le cosmos d'un blanc immaculé
dans lequel baignait cette estrade. Ces nobles, il ne pouvait
douter de leur statut, dont le cosmos était si pur, lui
paraissaient être en harmonie totale avec le foule, la statue, et
tout le reste. Au plus près de la statue se dressait Valfodr,
entouré de sept hommes et femmes, les bras au ciel. Au pied de
l'estrade, une vingtaine de nobles, en majorité des jeunes,
priaient de même. il crut y reconnaître aussi bien Idunn que
Baleygr. Les litanies se turent peu à peu, tandis que les cosmos
déclinaient. L'enchantement laissait peu à peu la place à un
sentiment de manque dans le coeur du Scorpion.
Euryphon sursauta
quand la main d'Hangagud vint se poser sur son épaule. Il s'essuya
rapidement les yeux, sous le regard amical du Thane.
"Impressionnant,
n'est-ce pas ?
- Effectivement. Je me demande comment j'avais pu rater ça.
- Tu ne venais jamais aux bonnes périodes tout simplement. Nous
faisons peu de cérémonies de cette envergure chaque année.
- C'est bien dommage...
- Crois-moi, c'est épuisant ! Et encore plus quand on est sensé
mener la danse.
- Ta première ?
- Jusqu'ici j'étais cantonné au rôle de subalterne. Maintenant,
c'est moi qui commande !"
Il
éclata de rire. Hangagud était joyeux, ce matin. Euryphon regarda
la foule se disperser, tandis que la cérémonie s'achevait. Valfodr
s'entretenait avec ceux qui avaient accompagné ses prières sur
l'estrade, tandis que les jeunes nobles se dirigeaient tous vers
le palais, encouragés -presque forcés- par quelques hommes de
haute stature. Il put cette fois clairement reconnaître Idunn, qui
sous ses yeux flanqua une gifle magistrale à Baleygr, sous les
rires de leurs camarades. Un des hommes qui les encadraient dut
bloquer la jeune femme de toute ses forces en la ceinturant pour
l'empêcher de se jeter sur sa victime, tandis qu'un des nobles,
d'une taille impressionnante, aidait Baleygr à se relever. Après
quelques secondes, Idunn arrêta de se débattre puis tout le monde
se remit en route, en prenant bien soin de tenir les deux
adversaires à bonne distance.
" Ce sont les enfants
des familles nobles du pays. Ils doivent tous, dès leur seize ans,
se rendre au Walhalla pour y débuter leur entraînement.
- Leur entraînement ? Vous avez pourtant des soldats, non ?
- Bien sûr, mais il s'agit de former des officiers, qui sauront
diriger des troupes et les manoeuvrer efficacement. En plus d'en
faire des guerriers émérites, évidemment.
- J'ai ressenti le cosmos des nobles sur l'estrade...
- Les meilleurs d'entre nous. Les sept plus puissants de nos
combattants, si on ne compte pas mon oncle bien sûr. Ils sont
notre meilleure protection, en cas d'attaque de nos voisins.
- Comment se fait-il que je ne les ai jamais vus ?
- Eh bien...non seulement tu ne restais jamais longtemps, mais en
plus Valfodr n'est pas du genre à exhiber ses hommes. Si tu ne
t'étais pas levé "aussi tôt", tu ne les aurais peut-être jamais
vus. Hangagud lui fit un grand sourire, et Euryphon grimaça à
la remarque. Tu sais pourtant que nous avons des ennemis tout
autour de nous. Nous devons préserver nos terres et notre
indépendance. Nous avons besoin de former des guerriers, et plus
encore si ils sont aptes à contrôler leur cosmos. Nous ne
disposons pas de douze chevaliers d'Or, parés de leurs armures
étincelantes, suivis par une véritable armée...nous faisons ce que
nous pouvons. Et puis, tu t'imagines bien que pour bâtir Asgard,
il a fallu que notre seigneur Odin soit bien accompagné.
- Je ne suis pas doué en histoire...
- Ah oui c'est vrai. A l'occasion, tu n'as qu'à lever les yeux sur
les tapisseries de ta chambre, elle relatent nos origines.
- Oui, je sais...Euryphon remarqua le petit sourire en coin de
son ami. Et ça l'agaçait. Il se débrouilla pour rapidement changer
de sujet.
- La dévotion de la population est vraiment impressionnante. Tout
le monde à l'air de beaucoup s'impliquer.
- Supplier son dieu pour qu'il apporte le réconfort à son peuple
est un devoir. Personne ne peut y échapper. Il en va de la vie
même de ce pays.
- A ce point ?
- Cette terre est rude, bien plus que tu ne le crois. Si nous ne
prions pas régulièrement Odin pour lui offrir notre force, il ne
sera pas en mesure de la rendre habitable. Le Thane se tourna
vers le Scorpion, et le regarde droit dans les yeux. Si nous
ne prions pas, tout gèlera et personne n'en réchappera. Nous
prions pour une nature plus clémente.
- Je...je suis désolé, je ne pensais pas que...Euryphon ne
savait effectivement pas que Asgard devait uniquement son
existence à la volonté d'Odin.
- Ce n'est rien. Tout le monde ici accepte son sort et remplit son
devoir avec fierté. Nouveau grand sourire d'Hangagud. C'est
grâce à tout ça que nous pouvons vivre librement, loin de tous les
tyrans du Sud. Allez, assez bavardé, aujourd'hui c'est visite
guidée.
- Hein ?
- Ce pauvre Valfodr ne t'a jamais montré grand chose ici, teigneux
comme il est. Il y a pourtant plein de choses à admirer."
Bien
plus au sud, en Grèce, le Grand Pope attendait nerveusement les
rapports de ses hommes sur les récents évènements. Il en avait
bien sûr eu connaissance par l'intermédiaire de la divination,
mais les étoiles de Star Hill ne lui transmettaient plus de
messages clairs depuis quelques temps. Les images étaient
contradictoires, et il ne pouvait plus les interpréter
correctement. Peut-être était-il réellement trop vieux à présent.
Proclès, à sa droite, les bras croisés, lui jetait des regards
anxieux, tout en faisant mine de ne pas s'inquiéter. A sa gauche,
un vieil homme, entièrement recouvert d'une longue robe noire et
la tête couverte par une capuche, attendait patiemment. Son visage
creusé de rides témoignait de son âge avancé, de même que sa
longue barbe blanche. Et surtout ses yeux, vifs et alertes,
contrastant avec son apparence générale, analysaient froidement
tout ce qui l'entourait. Les battants de la grande porte
grincèrent et trois chevaliers pénétrèrent dans la salle,
s'avancèrent jusqu'au pied de l'estrade et mirent un genou à
terre.
"Calchas, chevalier de
Bronze du Petit Lion, ainsi que les chevaliers de Bronze Numitor
du Serpent et Rhésos du Petit Cheval, nous répondons à votre
convocation.
- Relevez vous, chevaliers. Expliquez-moi tout en détail.
- Bien Grand Pope. Selon les ordre du chevalier d'Or du Taureau,
nous avons parcouru les régions où sont sensées avoir été aperçus
ces mystérieux chevaliers. Et...nous les avons rencontrés.
Dracon fronça les sourcils derrière son masque. C'est ce que les
étoiles lui avaient révélé, mais il ignorait en grande partie le
reste. La rencontre n'a pas été des plus...amicales.
- C'est-à-dire ?
- Nous avons dû nous défendre. Le chevalier du Petit Lion
brandit devant lui un casque fissuré, d'un noir profond. Non
seulement ils maîtrisaient le cosmos, mais ils portaient ces
armures.
- Quel est ton estimation de leur niveau ? Le Grand Pope vit le
chevalier hésiter un moment avant de répondre.
- Variable. Nous avons vaincus sans trop de difficultés la plupart
d'entre eux, mais celui qui était apparemment leur chef était bien
plus fort. Il a...facilement tué Memnon. Dracon eut un
imperceptible frisson.
- Memnon ? Dracon encaissa très mal le choc. Ce jeune garçon,
il l'avait recueilli lui-même, lors d'une de ses visites à
Athènes. Un malheureux clochard, dont les parents vivaient de
façon misérable dans un des taudis de la cité. Le chevalier de
Bronze de Cassiopée allait lui manquer.
- Oui Grand Pope. Il n'a même pas eu le temps de répliquer. Nous
avons dû nous mettre à trois sur l'ennemi pour le vaincre."
Le
coeur du Grand Pope se serra. Il se sentait responsable de la mort
du chevalier. Tout comme il s'en voulait d'avoir envoyé ces jeunes
hommes à un combat auxquels ils ne s'attendaient pas. Soudain la
porte à double battant s'ouvrit à fracas, et deux gardes qui
portaient un chevalier entrèrent, suivi du chevalier d'Or du
Capricorne. Tout le monde se tourna vers eux, et les chevaliers de
Bronze ainsi que Proclès se précipitèrent vers le blessé, tandis
que le Pope devinait avec douleur ce qui s'était passé. Les gardes
posèrent le chevalier de Bronze sur le sol de marbre et
s'écartèrent.
"Harkouf, le
chevalier de Bronze de l'Ecu, a été ramené par le chevalier
Hippias. Son état était déjà grave, mais la montée des marches n'a
rien arrangé.
- Hippias, où l'as tu trouvé ? Proclès s'adressait au chevalier
du Capricorne avec un empressement qui heurta quelque peu
l'assemblée. Proclès n'était pas du genre à s'emporter très vite,
mais cette fois c'était différent. Les événements le troublaient
réellement. C'était lui qui avait organisé les groupes de
chevaliers.
- Près de Sparte. Il était dans un sale état. je l'ai ramené le
plus vite possible. Malheureusement il était trop tard pour les
deux autres. Ils étaient déjà morts.
- Les deux autres ?! L'étau se referma un peu plus sur le coeur
de Dracon. Le blessé ouvrit les yeux et tenta de se redresser sur
un coude, avant de s'écrouler lourdement. Il tourna lentement la
tête vers Proclès, et articula quelques mots vagues, entre deux
quintes de toux.
- "Lygdamis...tué par...eux...ses yeux se tournèrent vers le
casque noir que le Petit Lion tenait toujours...Pasiclès...achevé...massacrés...pas
laisser faire...son regard se tourna finalement vers le
Capricorne et tendit vers lui une main tremblante ...Hippias...pas
laisser...puis il eut un soubresaut, et s'éteignit, dans les
bras de Rhésos, le regard mort toujours tourné vers le chevalier
d'Or. Hippias s'avança pour lui fermer les yeux.
- Ceux qui vous ont fait ça finiront par le payer. Tu as ma
parole, chevalier.
- Organisez le rapatriement des corps et des armures. Hippias, va
chercher Charilaos, où qu'il soit."
Hippias
se redressa, puis repartit lentement vers la sortie, laissons les
chevaliers de Bronze s'occuper de leur compagnon, alors que
Proclès fulminait. Ses yeux étincelaient de rage, et son cosmos
s'intensifiait, encore et encore. Ces chevaliers avaient été
envoyés à la mort, parce qu'il avait mal estimé la situation. Les
chevaliers étaient sur Terre pour se battre, et c'était
invariablement la mort qui les attendait dans leur lutte pour la
justice. Mais chacune de ces morts était comme une amputation pour
le Taureau. Malgré les dissensions, malgré les dangers, ils
restaient tous frères. Dracon, silencieux, ne laissait rien
transparaître, et avait donné les derniers ordres avec un calme
apparent. Mais sous son masque, les larmes ne cessaient de rouler
sur ses joues, pendant qu'une pointe acérée lui lacérait l'âme et
le coeur.
Fin du Chapitre 5
Cette
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