"Les femmes n'ont jamais été et ne
seront jamais capables d'endosser les armures sacrées qui nous ont
été confiées par notre déesse Athéna. Nous ne pouvons tolérer que
certaines d'entre elles puissent avoir l'audace d'en briguer." -
Agis, chevalier d'Or des
Gémeaux. "Les
textes du début du IV° siècle avant notre ère sont absurdes. Ils
rapportent une augmentation brutale du nombre de potentiels
recensés de par le monde. Les chiffres avancés sont démentiels, et
totalement hors norme avec ce que nous connaissons actuellement.
Il s'agit donc bien évidemment d'affabulations." -
Léandre, chevalier d'Or du Verseau.
"Mais qu'est ce qu'on
est venu faire ici...
- Arrête un peu de te plaindre !
- ...encore plus chaud qu'en Grèce, encore plus de poussière...
- ...beaucoup moins de monde. Et pas de chevalier d'Argent ou d'Or
pour nous donner des ordres.
- Touché..."
Les
deux chevaliers de Bronze arpentaient inlassablement le sable
parsemé de rocailles où on les avait envoyés. Ils étaient tous les
deux jeunes, mais pas pour autant inexpérimentés : leurs missions
pour le Sanctuaire se comptaient déjà par dizaines. Bien sûr, en
temps de paix, la plupart de ces tâches ne comprenaient pas la
moindre trace de violence, mais les voyages et le contact avec les
populations faisaient partie de leur quotidien.
"Tout de même...pourquoi
il a fallu que ce soit nous qui allions ici ! C'est toujours
pareil...
- C'est Proclès qui a désigné les groupes, pas moi...tu n'auras
qu'à lui en toucher deux mots à notre retour.
- Non merci, je n'ai aucune envie d'avoir des problèmes avec le
vieux...
- Ces histoires de chevaliers sont très intrigantes. Il se trame
forcément quelque chose, pour que le Pope décide d'enquêter.
- Tu parles. Il cherche juste à occuper les troupes, c'est tout.
Il ne se passe jamais rien au Sanctuaire. Si on était tous coincé
là bas en permanence, on passerait notre vie à se chamailler dans
l'arène et on finirait tous par y crever.
- Parle pour toi. Il n'y a pas que les combats dans la vie, tu
sais. Tu devrais essayer la lecture. Ou le théâtre.
- Pffff...ne commence pas avec ça, tu veux...
- Contrairement à vous, chevalier de Bronze de Pégase, je suis
capable de m'occuper autrement qu'en tapant mes camarades...
- Bien sûr, chevalier de Bronze de la Licorne, loin de moi l'idée
de vouloir vous faire descendre de votre piédestal...
- Hilarant. Tu remarqueras tout de même que moi, pauvre barbare,
j'ai plus de goût et de culture que toi, Athénien de naissance et
donc destiné à la gloire de ta fière patrie...
- Je suis le mouton noir de ma race, c'est bien connu...et arrête
avec ces idioties de suprématie grecque, ça me fatigue. Tu sais
très bien que je ne me sens pas concerné.
- Encore heureux, je ne m'abaisserais même pas à discuter avec
toi.
- Pffff..."
Proclès
avait convoqué une dizaine de chevaliers de Bronze, il y a près
d'une semaine, et leur avait ordonné d'effectuer des recherches
dans des zones géographiques précises. Le peu qu'ils savaient
était on ne peut plus succinct : des hommes portant des armures
sacrées auraient été aperçus rôdant dans ces régions, en plus ou
moins grand nombre. Étant donné qu'il ne pouvait s'agir de
chevaliers d'Athéna, ils se devaient de découvrir leur identité.
Mais tandis que Gnaeus, chevalier de la Licorne, passionné
d'histoire, d'art, et de mystères, s'intéressait de près à
l'affaire, son équipier Andiclès, chevalier de Pégase, s'en
moquait totalement. Un groupe particulièrement mal assorti, mais
tel était la vision du Pope : obliger des contraires à collaborer,
pour en faire ressortir le meilleur. Gnaeus avait entendu parler
un jour d'une histoire sur l'actuel Grand Pope, qui expliquait
cette façon d'agir. Lui et Proclès se détestaient, et lors d'un
combat à mort qui les opposait suite à une simple dispute, les
jeunes chevaliers d'Or avait été convoqués et punis. On dit qu'ils
furent privés de leurs armures et que leurs cosmos furent scellés,
avant qu'ils ne soient téléportés sur des terres lointaines. Ils
étaient revenus après un an, ensemble. Unis pour survivre. Il
ignorait la part de légende de l'histoire, mais elle lui
permettait de comprendre un peu mieux le Pope. Et c'était un fait
: Gnaeus appréciait son compagnon de route. Malgré ses jérémiades,
ses contestations, son mauvais caractère. Les deux chevaliers
étaient en parfait contraste : même si ils étaient de la même
taille et du même âge, ils ne se ressemblaient absolument pas.
Andiclès était bien plus musclé que lui, les cheveux très courts,
toujours l'air boudeur. Gnaeus savait que derrière cette moue
permanente se cachait une bonté et une attention pour les autres
exceptionnelles. Mais Andiclès était un bagarreur, et faisait tout
pour garder sa réputation. Gnaeus, lui venait du nord de la Grande
Grèce1, comme un certain nombre de chevaliers de cette
époque : les contacts fréquents entre les cités grecques et la
toute proche Rome avaient permis de révéler de nombreux
potentiels. Gnaeus s'était très vite passionné pour les arts
grecs, la littérature...et le théâtre. Ces goûts, combinés à son
allure décidemment latine et des habitudes qu'il n'avait jamais
perdues, l'avaient vite placé dans la ligne de mire de bon nombre
d'aspirants grecs. Mais alors que, plus jeune, il se faisait
maltraiter, Andiclès chassait toujours ses agresseurs, avant de
repartir en le dédaignant. L'obtention de l'armure de la Licorne
mit fin de manière brutale aux brimades, et Andiclès, devenu
chevalier de Bronze une semaine avant lui, fut le premier à venir
lui serrer la main et lui témoigner son respect. Et cela faisait
maintenant quatre ans qu'ils parcouraient le monde aux ordres du
Sanctuaire. Quatre ans de disputes régulières, mais quatre ans de
franche camaraderie. Les pensées de Gnaeus furent brutalement
interrompues par la vue d'Andiclès, qui s'était arrêté sur un
rocher surplombant une plaine de poussière.
"Amène-toi par là,
Gnaeus ! Je suis sûr d'avoir vu quelque chose. Le ton, mais
aussi l'air sérieux de son compagnon l'inquiétèrent soudain. Il
était rare que le Pégase se montre aussi concentré. Il alla se
poster à ses côtés, sur le rocher.
- Qu'est-ce que c'était ?
- Aucune idée. Perdu de vue.
- Attends Andiclès ! C'est une plaine, pas une cachette à
l'horizon ! Explique-moi comment tu aurais pu perdre quelque chose
de vue ICI ?!
- Je te dis que j'ai aperçu quelque chose.
- ...si tu le dis... Andiclès n'était pas du genre à mentir.
Faire l'intéressant oui. Mais pas mentir. Surtout pas en mission.
Il se concentra lui aussi, pour essayer d'aider son ami.
- C'était une silhouette humaine, j'en suis presque sûr.
- Ce que nous sommes venus chercher ?
- Je ne sais pas. Mais il bougeait TRÈS vite. Ce n'est pas un
humain normal."
Ils
écarquillèrent soudain les yeux, en même temps, et eurent à peine
le temps de se retourner pour apercevoir une ombre se précipiter
sur eux. Andiclès fut projeté dans la plaine d'un coup de pied au
visage d'une violence rare. Gnaeus réussit à esquiver un deuxième
coup, mais ne parvint pas à riposter. A peine avait-il repris sa
posture de combat que l'ombre avait disparu.
"Gnaeus, ATTENTION !"
Andiclès,
encore à terre, venait de hurler. Gnaeus se retourna, et fut
effaré : une silhouette vaguement humaine se tenait derrière lui,
intangible, ténébreuse comme l'Hadès. Mais cette vision ne dura
qu'un instant, et l'ombre disparut à nouveau. L'instant d'après,
un coup faillit le faire basculer au bas du rocher. Tout en
cherchant son équilibre, il se retourna encore une fois, pour
cette fois-ci recevoir de plein fouet un coup de poing dans le
ventre. La puissance du coup lui arracha un cri et l'envoya voler
sur plusieurs mètres. Il finit dans les bras d'Andiclès, qui peina
pour ne pas reculer à la réception de son compagnon. Andiclès se
releva, posa doucement le chevalier de la Licorne sur le sol, puis
releva la tête vers l'ennemi. La silhouette, à présent tangible,
se tenait au bord du rocher, à la place qu'ils occupaient quelques
instants avant. Le chevalier de Pégase dut placer la main
devant ses yeux pour ne pas être ébloui par le soleil, qui
semblait gigantesque. L'ennemi avait pris soin de garder ce
dernier dans son dos : les chevaliers de Bronze étaient non
seulement incapables d'analyser correctement les réactions de leur
adversaire, mais ils ne pouvaient même pas l'identifier. Andiclès
put discerner entre ses doigts une silhouette mince, se tenant
droite, avec fierté -défi ?- les cheveux flottants au vent qui
parcourait inlassablement ces plaines désolées en charriant de la
poussière en permanence. La silhouette semblait porter une armure.
Mais le chevalier ne pouvait en savoir plus dans cette situation.
Peut-être que cette personne est effrayée et qu'elle cherche juste
à se défendre, pensa-t-il.
"Nous sommes des
chevaliers d'Athéna, envoyés du Sanctuaire ! Nous sommes en
mission pour le Grand Pope !"
Andiclès
n'obtint aucune réponse. L'adversaire n'esquissa même pas le
moindre mouvement. Le chevalier se redressa, s'assura que son ami
était conscient, puis avança de quelques pas en direction du
rocher. Peut-être que cette personne ne savait pas ce qu'était le
Sanctuaire, après tout ? Le cosmos pouvait s'éveiller à tout
moment, et beaucoup de potentiels n'étaient jamais découverts, ou
jamais exploités. Certains parvenaient à le maîtriser seuls, et
devenaient chefs de village, guerriers, mercenaires. le Sanctuaire
tentait tant bien que mal de garder un oeil sur ces potentiels, de
surveiller leur évolution et d'empêcher qu'ils modifient
l'équilibre des forces sur terre. Mais il n'était pas rare qu'on
découvre de telles personnes, sensibles au cosmos, et qui
n'avaient jamais été recensées par le Sanctuaire.
"Nous venons de Grèce
! Nous souhaiterions vous poser quelques questions ! Je m'appelle
Andiclès, chevalier de Bronze de Pégase, et voici Gnaeus,
chevalier de Bronze de la Licorne ! Nous ne sommes pas ici pour
nous battre !"
Toujours pas de
réponse. Toujours pas le moindre mouvement. Perplexe, et sur ses
gardes, Andiclès approcha encore un peu. Il se retourna pour
apercevoir Gnaeus un genou dans la poussière, récupérant du coup
qu'il avait reçu. Ce dernier lui fit un signe de tête, lui
montrant qu'il allait bien. Puis le Pégase vit son ami braquer un
regard surpris vers le rocher malgré le soleil, et se retourna
brusquement. L'inconnu avait levé le bras droit, poing serré,
tandis que les bourrasques de vent se faisaient plus intenses,
entraînant la formation de petits tourbillons de poussière et de
sable. Les cheveux de l'inconnu battaient l'air, comme animés
d'une vie propre. Puis il observa avec stupeur des traînées noires
qui strièrent le ciel et semblant se concentrer autour du poing,
masquant presque le soleil, et il comprit sur-le-champ. Il se
protégea le visage de ses deux bras aussi vite qu'il le put.
"INVERSE STAR !"
Gnaeus
avait vu Andiclès se protéger, mais n'avait pas encore récupéré et
ne put faire de même. Il regarda avec horreur le poing s'ouvrir
brusquement, libérant une bulle de cosmos d'un noir effarant. Le
néant. Il vit la bulle enfler en un instant, puis éclater. A la
vitesse du son, une vague de cosmos engloutit tout ce qui se
trouvait autour de l'inconnu. Gnaeus, qui avait fermé les yeux
avant que la vague ne l'atteigne, s'était attendu à subir de
graves dommages, mais il ne se passa...rien. Gnaeus ouvrit un
oeil, puis l'autre, pour constater qu'il ne restait rien. Il était
entouré de ténèbres insondables. Il essaya d'appeler son
compagnon, mais pas un son ne sortit de sa bouche. Surpris, il
essaya de se lever. Il y parvint, mais en un temps qui lui sembla
une éternité. Il ne distinguait ni sol, ni ciel. Juste un océan de
ténèbres. Le vent avait cessé, et nulle trace de poussière dans
l'air. Il était complètement perdu et désorienté. Tout ce qu'il
arrivait à faire, c'était repérer le cosmos d'Andiclès. Toujours
vivant, se dit-il avec soulagement. Il avança, pas à pas, dans les
ténèbres, se dirigeant vers le cosmos de son compagnon. Tout en
marchant, il se concentra sur celui qui était clairement un
ennemi. Son cosmos était sombre, plein de haine, mais il n'y
décelait aucune trace d'excitation. L'ennemi était froid et calme.
Quelque chose dans la mémoire de Gnaeus s'agitait : ce cosmos lui
rappelait quelque chose. Son attention se reporta entièrement sur
le Pégase et il s'efforça d'avancer, malgré son impression
d'immobilité.
Il sentait avec angoisse les deux cosmos s'affronter, et aurait
pesté contre Andiclès pour l'avoir laissé en arrière...si il avait
pu ne serait-ce que prononcer un mot. Il marchait depuis des
heures, des années, et il ne voyait toujours rien.
Puis les ténèbres s'effilochèrent, et le monde entier sembla
renaître sous ses yeux. Le vent emportait peu à peu les lambeaux
du néant de la même façon qu'il soulevait la poussière. Et la
vision qui s'offrit à Gnaeus lui arracha un cri. Andiclès, à
genoux dans le sable, ruisselait de sang. Les débris de son
plastron jonchait le sol autour de lui, et le Pégase levait des
yeux vides, morts, vers celle -il pouvait enfin le constater, même
si il ne la voyait que de dos- qui se tenait devant lui,
impassible. Il put enfin détailler l'armure de l'inconnue :
intégralement noire, partielle, comme une armure de Bronze. De
même, elle ressemblait trait pour trait à une armure sacrée. Et
c'est le casque qui le surprit le plus: identique au sien. La
Licorne. La jeune femme se retourna pour fixer Gnaeus droit dans
les yeux. Le choc fut encore plus grand qu'en découvrant l'armure
de l'inconnue. Et la mémoire lui revint soudain.
"E...Enora ?! C'est toi
?"
Aucune
réponse ne lui parvint. La jeune femme se contenta d'asséner un
coup de pied magistral à Andiclès, toujours à genoux, qui roula
dans la poussière. Elle continuait de fixer le chevalier de la
Licorne, et il ne parvenait pas à lire quoi que ce soit dans ses
yeux marrons. Enora. Elle était si joyeuse auparavant, au
Sanctuaire. Avant qu'elle ne s'éloigne pour de bon de ses
innombrables colonnes. Gnaeus avait immédiatement reconnu son
visage fin, encadré par des cheveux châtains qui lui tombaient
jusqu'aux épaules. Mais toute chaleur humaine avait définitivement
disparu, remplacé par un cosmos aussi noir que son armure.
"Enora ! Qu'est-ce que
tu fais là ?! Et pourquoi nous avoir attaqué comme ça !
- Est-ce que j'ai vraiment besoin de te fournir une explication ?
- Mais qu'est-ce qui te prend ?!"
Enora.
Gnaeus était abasourdi par le manque total d'émotion dans la voix
de son ancienne amie. Jamais il ne l'avait entendue parler de
cette façon. Ils avaient passé plusieurs années ensemble, durant
sa formation. Mais ça faisait 3 ans qu'il ne l'avait pas vue.
"Enora, qu'est-ce qui se
passe bon sang !
- Je viens de tuer Andiclès, c'est tout.
- Enora, qu'est ce qui se passe ?!"
Gnaeus
jeta un coup d'oeil au Pégase, et se rendit compte que son cosmos
avait disparu. Son corps était inerte, et le sable autour de lui
se gorgeait peu à peu de sang. Gnaeus comprit douloureusement que
son compagnon était mort. Son ami. Tué par une autre amie. Le
chevalier de la Licorne encaissa mal le choc et poussa un
hurlement qui raisonna étrangement, dans cette immense plaine
parsemée de rochers. Puis, les yeux pleins de larmes, il se jeta
avec toute la rage qui l'habitait sur la Licorne Noire. Son coup
de poing rata sa cible, tandis que son adversaire prenait un peu
de distance. Il recommença, encore et encore, mais Enora
s'éloignait toujours, sans riposter. Sa fureur l'aveuglait et ses
coups étaient complètement désorganisés. Il fut finalement envoyé
au sol d'une droite au visage. Son casque roula à quelques mètres
de lui, et il se mit à genoux, non sans difficulté. Il ne
comprenait pas ce qui se passait, et encore moins comment Enora
était devenue si forte. Elle n'aurait même jamais dû avoir une
telle maîtrise du cosmos, elle qui n'avait jamais été formée. En
tout cas pas au Sanctuaire.
"Enora, je veux que tu
m'expliques...
- T'expliquer quoi ? Vous m'avez rejetée. Tu le sais très bien.
- Rejetée ?! Nous ne t'avons jamais rejetée ! D'où te vient une
idée pareille !
- Tu sais très bien de quoi je parle !"
Pour
la première fois, Gnaeus vit sur le visage de la jeune femme une
émotion. La haine. Avant qu'il ne puisse réagir, elle lui flanqua
un coup de pied en pleine face. Étendu sur le sol, le corps
meurtri, le chevalier de la Licorne se reprocha mentalement de
manquer d'entraînement. Il n'avait pas pu faire quoi que ce soit
contre son adversaire, et Andiclès en avait payé le prix. Il
n'avait même pas pu le venger. Il leva les yeux vers Enora, et
crut distinguer des larmes, avant qu'elle n'abatte son pied une
dernière fois sur lui.
Enora
resta quelques instants à contempler les corps des deux
chevaliers. Elles les avait côtoyés pendant des années, et les
voir là, peu à peu recouverts de poussière par le vent, provoquait
en elle des réactions contradictoires. Quelque part, elle
regrettait qu'ils se soient mêlés de ça, mais d'un autre côté elle
ne ressentait que mépris et dégoût pour les rats du Sanctuaire.
Elle pesta vaguement contre son coeur qui battait un peu trop
fort, puis s'enfuit en courant.
Quelque
part, sur une île perdue, à l'écart de toute trace de
civilisation, une homme d'un certain âge, dont la tunique ouverte
laissait paraître une impressionnante musculature, trônait sur un
simple siège de bois, dans l'obscurité d'une pièce dépourvue de
fenêtres. Son visage taciturne n'était éclairé que par la faible
lueur des quelques bougies qui parsemaient le petit espace, et les
hommes présents évitaient soigneusement de croiser son regard.
L'ambiance de mort éclata brutalement lorsqu'un homme drapé dans
une cape noire, masquant à peine une massive armure, pénétra dans
la pièce et s'inclina devant le vieil homme.
"Maître, j'apporte de
mauvaises nouvelles.
- Pour changer...je t'écoute...
- Nos...nos hommes nous rapportent qu'ils ont rencontré des
émissaires du Sanctuaire, réussit à articuler l'homme, devant
la mine renfrognée de son maître. Qui se contenta de hausser un
sourcil.
- Du Sanctuaire ?
- Oui Maître. C'est comme ça qu'ils se sont présentés en tout cas.
- Alors le Grand Pope s'est décidé...ce qui veut aussi dire que
nos hommes n'ont pas été assez discrets.
- Maître, notre tâche nécessite malheureusement que nous nous
dévoilions parfois.
- J'avais donné des instructions claires, il me semble.
- Oui, Maître. Mais...
- Pas de mais."
Le vieil homme tourna
ses yeux vers un des gardes, posté à l'entrée. Quand ce dernier
croisa les deux pupilles noires, il blêmit et tenta de sortir de
la pièce en courant. Mais il n'atteignit jamais la pièce suivante.
Le nouvel arrivant se retint d'essuyer une goutte de sueur qui
perlait à son front. Il n'osa pas non plus regarder derrière lui,
de peur de tourner le dos à son maître. Ce dernier se contenta de
baisser lentement une main noueuse, tandis que son cosmos
s'éteignait lentement.
"Rappelle-toi Deucalion.
Rappelle-toi bien que c'est moi qui vous ai créés. Et que je ferai
des exemples, tant que je le jugerai nécessaire. J'exige une
obéissance absolue.
- Ou...oui Maître.
- Bien...le reste de ton rapport. Tout de suite.
- A vos ordres Maître ! Nos hommes ont été confrontés à des
chevaliers de Bronze en Gaule, en Grande Grèce, en Égypte et en
Perse.
- Dracon envoie ses troufions enquêter en Méditerranée...
- Nous avons perdu huit hommes. Les chevaliers voyagent en groupe.
Mais nous avons réussi à en éliminer quatre."
Le
vieil homme s'autorisa un sourire empli de satisfaction. Que
représentaient huit de ses marionnettes, en comparaison de quatre
chevaliers de Bronze ? Il disposait à présent d'une force
conséquente, et même si la majeure partie de ses troupes ne
valaient pas leurs homologues grecs, leur nombre compensait
largement. La moindre goutte de sang versée par le Sanctuaire
valait tous les efforts du monde. Il aperçut Deucalion déglutir,
sans doute de peur d'être foudroyé sur place. Ce qui ne fit
qu'amplifier la satisfaction du Maître.
"Poursuivez la mission.
Nous devons en rassembler le plus possible. Le plus vite possible.
- Et le Sanctuaire, Maître ?
- Évitez-les. Nous ne pouvons pas nous permettre de trop éveiller
les soupçons du Grand Pope.
- Bien Maître !"
Deucalion
se releva, s'inclina rapidement puis recula jusqu'à la porte, sans
tourner le dos à son maître. Il prit garde de ne pas trébucher sur
le cadavre, puis déguerpit en vitesse. Il se dirigea droit vers le
cercle de pierre au sommet d'une colline qui dominait le village.
Le village...il avait bien grandi depuis que le Maître avait pris
le pouvoir. Depuis qu'il rassemblait ces gens, tous ces gens...à
mi-chemin de la pente, il s'arrêta, et se retourna pour contempler
la vue. Une île de taille modeste, mais pourvue de paysages
magnifiques, du pic de la montagne aux plages de sables fins. Sa
patrie. Baissant les yeux vers ses mains, il examina, une fois de
plus, le froid métal qui les recouvrait. Un métal noir comme la
nuit, dans lequel affluait une formidable énergie. Le pouvoir. Le
Maître avait apporté le pouvoir. Il ramassa une pierre, à ses
pieds, l'observa quelques instants. Puis elle se désintégra
littéralement, dans une gerbe de lumière bleutée. Reprenant sa
marche vers le sommet, il eut un sourire en apercevant Pyrrha,
près du cercle. Sans la lâcher des yeux, il laissa la poussière
produite par la pierre détruite filtrer entre ses doigts, avant
d'ouvrir le poing et de laisser le vent l'emporter.
Le
Maître avait ordonné aux gardes survivants de quitter la pièce et
d'emporter le corps, et ruminait maintenant de bien sombres
pensées, concentré sur la flamme vacillante de la bougie en face
de lui, les mains à plat sur les accoudoirs du trône de bois. Il
avait l'air fatigué. Probablement l'était-il réellement. Lorsqu'un
cosmos diffus émergea d'un des coins sombres de la pièce, il
poussa un profond soupir.
"Que puis-je faire pour
toi, cette fois-ci ?
- Je viens simplement m'assurer que tu t'acquittes bien de ta
tâche. Une très vieille femme, d'une laideur repoussante, fit
son apparition. Le Maître n'avait même pas esquissé un geste en sa
direction.
- Et bien rassure-toi alors...tout se déroule comme nous le
prévoyions.
- En es-tu bien sûr ? Je ne pense pas que s'opposer directement au
Sanctuaire soit une excellente idée...
- Rencontres fortuites. Dracon s'est décidé à bouger, c'est tout.
- J'espère simplement pour toi que rien ne viendra compromettre ta
tâche...
- En quoi cela peut-il bien te concerner ? C'est ma tâche, ma
mission. Mon but. Pas le tien. Quel que soit le résultat, il
n'aura pas de conséquences pour vous.
- Détrompe-toi, Archélas. Ce que tu feras aura un impact sur tous.
Nous tous. Le Maître éclata d'un petit rire nerveux, avant de
regarder son interlocutrice pour la première fois.
- Je m'en moque complètement.
- Je le sais très bien...et c'est pour ça que tu es là."
L'horrible
vieille femme fit quelques pas en arrière, vers les ombres. Puis
le cosmos s'évanouit, laissant Archélas seul, scrutant
inlassablement les flammes vacillantes des bougies.
1. surnom donné à l’Italie antique.
Fin du
Chapitre 4
Cette
fanfic est la propriété de Nicolas Morgenthaler (c) 2005
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