Chasse Eternelle Chap.4
-Sabots de poussière-

 
   
"Les femmes n'ont jamais été et ne seront jamais capables d'endosser les armures sacrées qui nous ont été confiées par notre déesse Athéna. Nous ne pouvons tolérer que certaines d'entre elles puissent avoir l'audace d'en briguer." - Agis, chevalier d'Or des Gémeaux.

"Les textes du début du IV° siècle avant notre ère sont absurdes. Ils rapportent une augmentation brutale du nombre de potentiels recensés de par le monde. Les chiffres avancés sont démentiels, et totalement hors norme avec ce que nous connaissons actuellement. Il s'agit donc bien évidemment d'affabulations." - Léandre, chevalier d'Or du Verseau.

 

"Mais qu'est ce qu'on est venu faire ici...
- Arrête un peu de te plaindre !
- ...encore plus chaud qu'en Grèce, encore plus de poussière...
- ...beaucoup moins de monde. Et pas de chevalier d'Argent ou d'Or pour nous donner des ordres.
- Touché..."

   Les deux chevaliers de Bronze arpentaient inlassablement le sable parsemé de rocailles où on les avait envoyés. Ils étaient tous les deux jeunes, mais pas pour autant inexpérimentés : leurs missions pour le Sanctuaire se comptaient déjà par dizaines. Bien sûr, en temps de paix, la plupart de ces tâches ne comprenaient pas la moindre trace de violence, mais les voyages et le contact avec les populations faisaient partie de leur quotidien.

"Tout de même...pourquoi il a fallu que ce soit nous qui allions ici ! C'est toujours pareil...
- C'est Proclès qui a désigné les groupes, pas moi...tu n'auras qu'à lui en toucher deux mots à notre retour.
- Non merci, je n'ai aucune envie d'avoir des problèmes avec le vieux...
- Ces histoires de chevaliers sont très intrigantes. Il se trame forcément quelque chose, pour que le Pope décide d'enquêter.
- Tu parles. Il cherche juste à occuper les troupes, c'est tout. Il ne se passe jamais rien au Sanctuaire. Si on était tous coincé là bas en permanence, on passerait notre vie à se chamailler dans l'arène et on finirait tous par y crever.
- Parle pour toi. Il n'y a pas que les combats dans la vie, tu sais. Tu devrais essayer la lecture. Ou le théâtre.
- Pffff...ne commence pas avec ça, tu veux...
- Contrairement à vous, chevalier de Bronze de Pégase, je suis capable de m'occuper autrement qu'en tapant mes camarades...
- Bien sûr, chevalier de Bronze de la Licorne, loin de moi l'idée de vouloir vous faire descendre de votre piédestal...
- Hilarant. Tu remarqueras tout de même que moi, pauvre barbare, j'ai plus de goût et de culture que toi, Athénien de naissance et donc destiné à la gloire de ta fière patrie...
- Je suis le mouton noir de ma race, c'est bien connu...et arrête avec ces idioties de suprématie grecque, ça me fatigue. Tu sais très bien que je ne me sens pas concerné.
- Encore heureux, je ne m'abaisserais même pas à discuter avec toi.
- Pffff..."

   Proclès avait convoqué une dizaine de chevaliers de Bronze, il y a près d'une semaine, et leur avait ordonné d'effectuer des recherches dans des zones géographiques précises. Le peu qu'ils savaient était on ne peut plus succinct : des hommes portant des armures sacrées auraient été aperçus rôdant dans ces régions, en plus ou moins grand nombre. Étant donné qu'il ne pouvait s'agir de chevaliers d'Athéna, ils se devaient de découvrir leur identité. Mais tandis que Gnaeus, chevalier de la Licorne, passionné d'histoire, d'art, et de mystères, s'intéressait de près à l'affaire, son équipier Andiclès, chevalier de Pégase, s'en moquait totalement. Un groupe particulièrement mal assorti, mais tel était la vision du Pope : obliger des contraires à collaborer, pour en faire ressortir le meilleur. Gnaeus avait entendu parler un jour d'une histoire sur l'actuel Grand Pope, qui expliquait cette façon d'agir. Lui et Proclès se détestaient, et lors d'un combat à mort qui les opposait suite à une simple dispute, les jeunes chevaliers d'Or avait été convoqués et punis. On dit qu'ils furent privés de leurs armures et que leurs cosmos furent scellés, avant qu'ils ne soient téléportés sur des terres lointaines. Ils étaient revenus après un an, ensemble. Unis pour survivre. Il ignorait la part de légende de l'histoire, mais elle lui permettait de comprendre un peu mieux le Pope. Et c'était un fait : Gnaeus appréciait son compagnon de route. Malgré ses jérémiades, ses contestations, son mauvais caractère. Les deux chevaliers étaient en parfait contraste : même si ils étaient de la même taille et du même âge, ils ne se ressemblaient absolument pas. Andiclès était bien plus musclé que lui, les cheveux très courts, toujours l'air boudeur. Gnaeus savait que derrière cette moue permanente se cachait une bonté et une attention pour les autres exceptionnelles. Mais Andiclès était un bagarreur, et faisait tout pour garder sa réputation. Gnaeus, lui venait du nord de la Grande Grèce1, comme un certain nombre de chevaliers de cette époque : les contacts fréquents entre les cités grecques et la toute proche Rome avaient permis de révéler de nombreux potentiels. Gnaeus s'était très vite passionné pour les arts grecs, la littérature...et le théâtre. Ces goûts, combinés à son allure décidemment latine et des habitudes qu'il n'avait jamais perdues, l'avaient vite placé dans la ligne de mire de bon nombre d'aspirants grecs. Mais alors que, plus jeune, il se faisait maltraiter, Andiclès chassait toujours ses agresseurs, avant de repartir en le dédaignant. L'obtention de l'armure de la Licorne mit fin de manière brutale aux brimades, et Andiclès, devenu chevalier de Bronze une semaine avant lui, fut le premier à venir lui serrer la main et lui témoigner son respect. Et cela faisait maintenant quatre ans qu'ils parcouraient le monde aux ordres du Sanctuaire. Quatre ans de disputes régulières, mais quatre ans de franche camaraderie. Les pensées de Gnaeus furent brutalement interrompues par la vue d'Andiclès, qui s'était arrêté sur un rocher surplombant une plaine de poussière.

"Amène-toi par là, Gnaeus ! Je suis sûr d'avoir vu quelque chose. Le ton, mais aussi l'air sérieux de son compagnon l'inquiétèrent soudain. Il était rare que le Pégase se montre aussi concentré. Il alla se poster à ses côtés, sur le rocher.
- Qu'est-ce que c'était ?
- Aucune idée. Perdu de vue.
- Attends Andiclès ! C'est une plaine, pas une cachette à l'horizon ! Explique-moi comment tu aurais pu perdre quelque chose de vue ICI ?!
- Je te dis que j'ai aperçu quelque chose.
- ...si tu le dis... Andiclès n'était pas du genre à mentir. Faire l'intéressant oui. Mais pas mentir. Surtout pas en mission. Il se concentra lui aussi, pour essayer d'aider son ami.
- C'était une silhouette humaine, j'en suis presque sûr.
- Ce que nous sommes venus chercher ?
- Je ne sais pas. Mais il bougeait TRÈS vite. Ce n'est pas un humain normal."

   Ils écarquillèrent soudain les yeux, en même temps, et eurent à peine le temps de se retourner pour apercevoir une ombre se précipiter sur eux. Andiclès fut projeté dans la plaine d'un coup de pied au visage d'une violence rare. Gnaeus réussit à esquiver un deuxième coup, mais ne parvint pas à riposter. A peine avait-il repris sa posture de combat que l'ombre avait disparu.

"Gnaeus, ATTENTION !"

   Andiclès, encore à terre, venait de hurler. Gnaeus se retourna, et fut effaré : une silhouette vaguement humaine se tenait derrière lui, intangible, ténébreuse comme l'Hadès. Mais cette vision ne dura qu'un instant, et l'ombre disparut à nouveau. L'instant d'après, un coup faillit le faire basculer au bas du rocher. Tout en cherchant son équilibre, il se retourna encore une fois, pour cette fois-ci recevoir de plein fouet un coup de poing dans le ventre. La puissance du coup lui arracha un cri et l'envoya voler sur plusieurs mètres. Il finit dans les bras d'Andiclès, qui peina pour ne pas reculer à la réception de son compagnon. Andiclès se releva, posa doucement le chevalier de la Licorne sur le sol, puis releva la tête vers l'ennemi. La silhouette, à présent tangible, se tenait au bord du rocher, à la place qu'ils occupaient quelques instants avant.    Le chevalier de Pégase dut placer la main devant ses yeux pour ne pas être ébloui par le soleil, qui semblait gigantesque. L'ennemi avait pris soin de garder ce dernier dans son dos : les chevaliers de Bronze étaient non seulement incapables d'analyser correctement les réactions de leur adversaire, mais ils ne pouvaient même pas l'identifier. Andiclès put discerner entre ses doigts une silhouette mince, se tenant droite, avec fierté -défi ?- les cheveux flottants au vent qui parcourait inlassablement ces plaines désolées en charriant de la poussière en permanence. La silhouette semblait porter une armure. Mais le chevalier ne pouvait en savoir plus dans cette situation. Peut-être que cette personne est effrayée et qu'elle cherche juste à se défendre, pensa-t-il.

"Nous sommes des chevaliers d'Athéna, envoyés du Sanctuaire ! Nous sommes en mission pour le Grand Pope !"

   Andiclès n'obtint aucune réponse. L'adversaire n'esquissa même pas le moindre mouvement. Le chevalier se redressa, s'assura que son ami était conscient, puis avança de quelques pas en direction du rocher. Peut-être que cette personne ne savait pas ce qu'était le Sanctuaire, après tout ? Le cosmos pouvait s'éveiller à tout moment, et beaucoup de potentiels n'étaient jamais découverts, ou jamais exploités. Certains parvenaient à le maîtriser seuls, et devenaient chefs de village, guerriers, mercenaires. le Sanctuaire tentait tant bien que mal de garder un oeil sur ces potentiels, de surveiller leur évolution et d'empêcher qu'ils modifient l'équilibre des forces sur terre. Mais il n'était pas rare qu'on découvre de telles personnes, sensibles au cosmos, et qui n'avaient jamais été recensées par le Sanctuaire.

   "Nous venons de Grèce ! Nous souhaiterions vous poser quelques questions ! Je m'appelle Andiclès, chevalier de Bronze de Pégase, et voici Gnaeus, chevalier de Bronze de la Licorne ! Nous ne sommes pas ici pour nous battre !"

Toujours pas de réponse. Toujours pas le moindre mouvement. Perplexe, et sur ses gardes, Andiclès approcha encore un peu. Il se retourna pour apercevoir Gnaeus un genou dans la poussière, récupérant du coup qu'il avait reçu. Ce dernier lui fit un signe de tête, lui montrant qu'il allait bien. Puis le Pégase vit son ami braquer un regard surpris vers le rocher malgré le soleil, et se retourna brusquement. L'inconnu avait levé le bras droit, poing serré, tandis que les bourrasques de vent se faisaient plus intenses, entraînant la formation de petits tourbillons de poussière et de sable. Les cheveux de l'inconnu battaient l'air, comme animés d'une vie propre. Puis il observa avec stupeur des traînées noires qui strièrent le ciel et semblant se concentrer autour du poing, masquant presque le soleil, et il comprit sur-le-champ. Il se protégea le visage de ses deux bras aussi vite qu'il le put.

"INVERSE STAR !"

   Gnaeus avait vu Andiclès se protéger, mais n'avait pas encore récupéré et ne put faire de même. Il regarda avec horreur le poing s'ouvrir brusquement, libérant une bulle de cosmos d'un noir effarant. Le néant. Il vit la bulle enfler en un instant, puis éclater. A la vitesse du son, une vague de cosmos engloutit tout ce qui se trouvait autour de l'inconnu. Gnaeus, qui avait fermé les yeux avant que la vague ne l'atteigne, s'était attendu à subir de graves dommages, mais il ne se passa...rien. Gnaeus ouvrit un oeil, puis l'autre, pour constater qu'il ne restait rien. Il était entouré de ténèbres insondables. Il essaya d'appeler son compagnon, mais pas un son ne sortit de sa bouche. Surpris, il essaya de se lever. Il y parvint, mais en un temps qui lui sembla une éternité. Il ne distinguait ni sol, ni ciel. Juste un océan de ténèbres. Le vent avait cessé, et nulle trace de poussière dans l'air. Il était complètement perdu et désorienté. Tout ce qu'il arrivait à faire, c'était repérer le cosmos d'Andiclès. Toujours vivant, se dit-il avec soulagement. Il avança, pas à pas, dans les ténèbres, se dirigeant vers le cosmos de son compagnon. Tout en marchant, il se concentra sur celui qui était clairement un ennemi. Son cosmos était sombre, plein de haine, mais il n'y décelait aucune trace d'excitation. L'ennemi était froid et calme. Quelque chose dans la mémoire de Gnaeus s'agitait : ce cosmos lui rappelait quelque chose. Son attention se reporta entièrement sur le Pégase et il s'efforça d'avancer, malgré son impression d'immobilité.
Il sentait avec angoisse les deux cosmos s'affronter, et aurait pesté contre Andiclès pour l'avoir laissé en arrière...si il avait pu ne serait-ce que prononcer un mot. Il marchait depuis des heures, des années, et il ne voyait toujours rien.
   Puis les ténèbres s'effilochèrent, et le monde entier sembla renaître sous ses yeux. Le vent emportait peu à peu les lambeaux du néant de la même façon qu'il soulevait la poussière. Et la vision qui s'offrit à Gnaeus lui arracha un cri. Andiclès, à genoux dans le sable, ruisselait de sang. Les débris de son plastron jonchait le sol autour de lui, et le Pégase levait des yeux vides, morts, vers celle -il pouvait enfin le constater, même si il ne la voyait que de dos- qui se tenait devant lui, impassible. Il put enfin détailler l'armure de l'inconnue : intégralement noire, partielle, comme une armure de Bronze. De même, elle ressemblait trait pour trait à une armure sacrée. Et c'est le casque qui le surprit le plus: identique au sien. La Licorne. La jeune femme se retourna pour fixer Gnaeus droit dans les yeux. Le choc fut encore plus grand qu'en découvrant l'armure de l'inconnue. Et la mémoire lui revint soudain.

"E...Enora ?! C'est toi ?"

   Aucune réponse ne lui parvint. La jeune femme se contenta d'asséner un coup de pied magistral à Andiclès, toujours à genoux, qui roula dans la poussière. Elle continuait de fixer le chevalier de la Licorne, et il ne parvenait pas à lire quoi que ce soit dans ses yeux marrons. Enora. Elle était si joyeuse auparavant, au Sanctuaire. Avant qu'elle ne s'éloigne pour de bon de ses innombrables colonnes. Gnaeus avait immédiatement reconnu son visage fin, encadré par des cheveux châtains qui lui tombaient jusqu'aux épaules. Mais toute chaleur humaine avait définitivement disparu, remplacé par un cosmos aussi noir que son armure.

"Enora ! Qu'est-ce que tu fais là ?! Et pourquoi nous avoir attaqué comme ça !
- Est-ce que j'ai vraiment besoin de te fournir une explication ?
- Mais qu'est-ce qui te prend ?!"

   Enora. Gnaeus était abasourdi par le manque total d'émotion dans la voix de son ancienne amie. Jamais il ne l'avait entendue parler de cette façon. Ils avaient passé plusieurs années ensemble, durant sa formation. Mais ça faisait 3 ans qu'il ne l'avait pas vue.

"Enora, qu'est-ce qui se passe bon sang !
- Je viens de tuer Andiclès, c'est tout.
- Enora, qu'est ce qui se passe ?!"

   Gnaeus jeta un coup d'oeil au Pégase, et se rendit compte que son cosmos avait disparu. Son corps était inerte, et le sable autour de lui se gorgeait peu à peu de sang. Gnaeus comprit douloureusement que son compagnon était mort. Son ami. Tué par une autre amie. Le chevalier de la Licorne encaissa mal le choc et poussa un hurlement qui raisonna étrangement, dans cette immense plaine parsemée de rochers. Puis, les yeux pleins de larmes, il se jeta avec toute la rage qui l'habitait sur la Licorne Noire. Son coup de poing rata sa cible, tandis que son adversaire prenait un peu de distance. Il recommença, encore et encore, mais Enora s'éloignait toujours, sans riposter. Sa fureur l'aveuglait et ses coups étaient complètement désorganisés. Il fut finalement envoyé au sol d'une droite au visage. Son casque roula à quelques mètres de lui, et il se mit à genoux, non sans difficulté. Il ne comprenait pas ce qui se passait, et encore moins comment Enora était devenue si forte. Elle n'aurait même jamais dû avoir une telle maîtrise du cosmos, elle qui n'avait jamais été formée. En tout cas pas au Sanctuaire.

"Enora, je veux que tu m'expliques...
- T'expliquer quoi ? Vous m'avez rejetée. Tu le sais très bien.
- Rejetée ?! Nous ne t'avons jamais rejetée ! D'où te vient une idée pareille !
- Tu sais très bien de quoi je parle !"

   Pour la première fois, Gnaeus vit sur le visage de la jeune femme une émotion. La haine. Avant qu'il ne puisse réagir, elle lui flanqua un coup de pied en pleine face. Étendu sur le sol, le corps meurtri, le chevalier de la Licorne se reprocha mentalement de manquer d'entraînement. Il n'avait pas pu faire quoi que ce soit contre son adversaire, et Andiclès en avait payé le prix. Il n'avait même pas pu le venger. Il leva les yeux vers Enora, et crut distinguer des larmes, avant qu'elle n'abatte son pied une dernière fois sur lui.

   Enora resta quelques instants à contempler les corps des deux chevaliers. Elles les avait côtoyés pendant des années, et les voir là, peu à peu recouverts de poussière par le vent, provoquait en elle des réactions contradictoires. Quelque part, elle regrettait qu'ils se soient mêlés de ça, mais d'un autre côté elle ne ressentait que mépris et dégoût pour les rats du Sanctuaire. Elle pesta vaguement contre son coeur qui battait un peu trop fort, puis s'enfuit en courant.

   Quelque part, sur une île perdue, à l'écart de toute trace de civilisation, une homme d'un certain âge, dont la tunique ouverte laissait paraître une impressionnante musculature, trônait sur un simple siège de bois, dans l'obscurité d'une pièce dépourvue de fenêtres. Son visage taciturne n'était éclairé que par la faible lueur des quelques bougies qui parsemaient le petit espace, et les hommes présents évitaient soigneusement de croiser son regard. L'ambiance de mort éclata brutalement lorsqu'un homme drapé dans une cape noire, masquant à peine une massive armure, pénétra dans la pièce et s'inclina devant le vieil homme.

"Maître, j'apporte de mauvaises nouvelles.
- Pour changer...je t'écoute...
- Nos...nos hommes nous rapportent qu'ils ont rencontré des émissaires du Sanctuaire, réussit à articuler l'homme, devant la mine renfrognée de son maître. Qui se contenta de hausser un sourcil.
- Du Sanctuaire ?
- Oui Maître. C'est comme ça qu'ils se sont présentés en tout cas.
- Alors le Grand Pope s'est décidé...ce qui veut aussi dire que nos hommes n'ont pas été assez discrets.
- Maître, notre tâche nécessite malheureusement que nous nous dévoilions parfois.
- J'avais donné des instructions claires, il me semble.
- Oui, Maître. Mais...
- Pas de mais."

Le vieil homme tourna ses yeux vers un des gardes, posté à l'entrée. Quand ce dernier croisa les deux pupilles noires, il blêmit et tenta de sortir de la pièce en courant. Mais il n'atteignit jamais la pièce suivante. Le nouvel arrivant se retint d'essuyer une goutte de sueur qui perlait à son front. Il n'osa pas non plus regarder derrière lui, de peur de tourner le dos à son maître. Ce dernier se contenta de baisser lentement une main noueuse, tandis que son cosmos s'éteignait lentement.

"Rappelle-toi Deucalion. Rappelle-toi bien que c'est moi qui vous ai créés. Et que je ferai des exemples, tant que je le jugerai nécessaire. J'exige une obéissance absolue.
- Ou...oui Maître.
- Bien...le reste de ton rapport. Tout de suite.
- A vos ordres Maître ! Nos hommes ont été confrontés à des chevaliers de Bronze en Gaule, en Grande Grèce, en Égypte et en Perse.
- Dracon envoie ses troufions enquêter en Méditerranée...
- Nous avons perdu huit hommes. Les chevaliers voyagent en groupe. Mais nous avons réussi à en éliminer quatre."

   Le vieil homme s'autorisa un sourire empli de satisfaction. Que représentaient huit de ses marionnettes, en comparaison de quatre chevaliers de Bronze ? Il disposait à présent d'une force conséquente, et même si la majeure partie de ses troupes ne valaient pas leurs homologues grecs, leur nombre compensait largement. La moindre goutte de sang versée par le Sanctuaire valait tous les efforts du monde. Il aperçut Deucalion déglutir, sans doute de peur d'être foudroyé sur place. Ce qui ne fit qu'amplifier la satisfaction du Maître.

"Poursuivez la mission. Nous devons en rassembler le plus possible. Le plus vite possible.
- Et le Sanctuaire, Maître ?
- Évitez-les. Nous ne pouvons pas nous permettre de trop éveiller les soupçons du Grand Pope.
- Bien Maître !"

   Deucalion se releva, s'inclina rapidement puis recula jusqu'à la porte, sans tourner le dos à son maître. Il prit garde de ne pas trébucher sur le cadavre, puis déguerpit en vitesse. Il se dirigea droit vers le cercle de pierre au sommet d'une colline qui dominait le village. Le village...il avait bien grandi depuis que le Maître avait pris le pouvoir. Depuis qu'il rassemblait ces gens, tous ces gens...à mi-chemin de la pente, il s'arrêta, et se retourna pour contempler la vue. Une île de taille modeste, mais pourvue de paysages magnifiques, du pic de la montagne aux plages de sables fins. Sa patrie. Baissant les yeux vers ses mains, il examina, une fois de plus, le froid métal qui les recouvrait. Un métal noir comme la nuit, dans lequel affluait une formidable énergie. Le pouvoir. Le Maître avait apporté le pouvoir. Il ramassa une pierre, à ses pieds, l'observa quelques instants. Puis elle se désintégra littéralement, dans une gerbe de lumière bleutée. Reprenant sa marche vers le sommet, il eut un sourire en apercevant Pyrrha, près du cercle. Sans la lâcher des yeux, il laissa la poussière produite par la pierre détruite filtrer entre ses doigts, avant d'ouvrir le poing et de laisser le vent l'emporter.

   Le Maître avait ordonné aux gardes survivants de quitter la pièce et d'emporter le corps, et ruminait maintenant de bien sombres pensées, concentré sur la flamme vacillante de la bougie en face de lui, les mains à plat sur les accoudoirs du trône de bois. Il avait l'air fatigué. Probablement l'était-il réellement. Lorsqu'un cosmos diffus émergea d'un des coins sombres de la pièce, il poussa un profond soupir.

"Que puis-je faire pour toi, cette fois-ci ?
- Je viens simplement m'assurer que tu t'acquittes bien de ta tâche. Une très vieille femme, d'une laideur repoussante, fit son apparition. Le Maître n'avait même pas esquissé un geste en sa direction.
- Et bien rassure-toi alors...tout se déroule comme nous le prévoyions.
- En es-tu bien sûr ? Je ne pense pas que s'opposer directement au Sanctuaire soit une excellente idée...
- Rencontres fortuites. Dracon s'est décidé à bouger, c'est tout.
- J'espère simplement pour toi que rien ne viendra compromettre ta tâche...
- En quoi cela peut-il bien te concerner ? C'est ma tâche, ma mission. Mon but. Pas le tien. Quel que soit le résultat, il n'aura pas de conséquences pour vous.
- Détrompe-toi, Archélas. Ce que tu feras aura un impact sur tous. Nous tous. Le Maître éclata d'un petit rire nerveux, avant de regarder son interlocutrice pour la première fois.
- Je m'en moque complètement.
- Je le sais très bien...et c'est pour ça que tu es là."

   L'horrible vieille femme fit quelques pas en arrière, vers les ombres. Puis le cosmos s'évanouit, laissant Archélas seul, scrutant inlassablement les flammes vacillantes des bougies.


1. surnom donné à l’Italie antique.
 

Fin du Chapitre 4

Cette fanfic est la propriété de Nicolas Morgenthaler (c) 2005
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