"Il
est notoire que le Grand Pope Dracon n'a pas été capable de se
faire réellement respecter de ses subordonnés. Les mémoires et les
textes qu'ont laissés ses contemporains montrent clairement que le
Sanctuaire était en proie au chaos le plus total. A se demander
comment un tel être a pu accéder à une telle dignité." -
Léandre, chevalier d'Or du
Verseau.
"Nous ne saurons jamais
ce qui s'est réellement passé en cette période de crise. Les
traces de témoignages semblent évoquer de profondes dissensions au
sein même du Zodiaque d'or, mais toutes tentatives de précisions
ne seraient que vaines extrapolations." -
Dohko, chevalier d'Or de la Balance.
Tout
était noir. Le sol, le ciel...rien en vue. Perdu dans un océan de
ténèbres qui semblait ne pas avoir de fin. Seul. Pas un son, pas
un souffle de vent. Incapable de bouger. Incapable de parler.
Yaga
se redressa brutalement sur son lit de fortune. Encore ce
cauchemar. Toujours ce cauchemar. Le matin, déjà...les rayons du
soleil filtraient à travers les fissures du panneau de bois qui
servait de volet et l'éblouissaient un peu. Il regarda la pièce,
la seule de la petite masure. Cela faisait trop longtemps qu'il
vivait dans ce taudis. Si seulement ces maudits Grecs ne faisaient
pas tout pour l'empêcher de vivre convenablement...Yaga pivota
pour sortir de son lit et réprima une grimace de douleur. Fichue
paillasse. Heureusement, le Grand Pope prévoyait apparemment de
lui céder une maison plus confortable, digne d'un chevalier
d'Argent. Parfait, ça lui éviterait peut-être les douleurs
quotidiennes dûes à un confort plus que précaire.
Une nouvelle fois, il fit le tour de ses maigres
possessions. Facile, quand tout se concentrait dans un si petit
espace. Son regard finit par tomber sur l'urne, et il sourit. Elle
semblait luire même dans la pénombre.
Il se lava rapidement avec le peu d'eau qui restait dans le
baquet qui traînait dans un coin. Ca aussi, c'était fini à
présent. Enfilant pour la première fois le vêtement qu'on lui
avait remis, il en apprécia la texture et la conception. D'une
pièce, comme les tenues d'entraînements...mais bien plus léger,
plus solide aussi...par conséquent beaucoup moins déchiré. Il
renifla avec mépris en pensant à l'infâme tas de chiffon bardé de
métal qu'on obligeait les apprentis à porter. Il se demanda
brièvement comment se faisait-il que, dès son retour de l'épreuve,
on avait pu lui fournir. Après tout, Callinès aurait tout aussi
bien pu gagner, et il était d'une corpulence bien plus
impressionnante. Ils n'avaient pas pu fabriquer cette tenue à
l'avance. Tant pis, cela importait peu après tout.
Il avait été très impressionné quand, lorsqu’il fut temps de
retirer l'armure, celle-ci se sépara d'elle-même de lui pour se
reconstituer sous une forme humanoïde. D'autant plus qu'il ne se
souvenait pas du tout comment elle était arrivé sur son dos. Avec
précaution, il ouvrit l'urne, dont les côtés tombèrent pour
laisser apparaître l'armure d'Orion. Avec tout autant de soin, il
en détacha chaque partie, et les enfila une par une. Il aurait pu
le faire de la même façon qu'il l'avait retiré, mais il craignait
que la maison ne s'écroule sur lui si le phénomène de la veille se
reproduisait. Il sourit en pensant que, après tout, ça n'aurait
pas été très grave.
Quant il eut fini, il sortit et se dirigea vers les douze
maisons. Il était convoqué chez le Pope, comme la veille.
Comme la veille, il put voir le regard qu'on lui portait. Un
regard différent. Crainte mêlée de respect, voire d'admiration. Il
découvrait peu à peu un autre aspect de la chevalerie: devenir un
héros pour le commun des mortels. Avec ses bons, mais aussi ses
mauvais côtés, pensa-t-il en voyant du coin de l'oeil l'avorton de
la nuit dernière -celui qui avait tenté de le retenir pendant que
Gryllus le frappait- avec un bandage lui barrant le nez. Il le
regarda dans les yeux quelques secondes et continua sa route.
Toutes ces brimades étaient loin derrière lui maintenant.
Il croisa un chevalier de Bronze, qui le salua d'un signe de
tête. Il répondit de la même façon, en souriant intérieurement. Il
y a deux jours, ce chevalier ne l'aurait même pas regardé. Depuis
qu'il avait obtenu son armure, tout avait changé.
La
veille, il s'était rendu tout de suite au Sanctuaire, comme le lui
avait dit Ménidis. Et de nouveau, il marchait droit vers les douze
maisons, il ne passa pas par le village, mais croisa tout de même
un certain nombre de personnes, chevaliers ou simples serviteurs,
et la plupart s'écartait sur son passage et l'observait à bonne
distance. Rares sont ceux qui lui adressèrent alors la parole.
Certains néanmoins lui sourirent, plus ou moins sincèrement, et
quelques uns le félicitèrent. Plus nombreux furent ceux qui
l'évitèrent soigneusement, ou, pour les plus courageux,
affichèrent clairement leur mépris, particulièrement chez les
aspirants chevaliers. Yaga se permit d'en toiser un qui se tenait
sur sa route et le défiait ouvertement et de lui lancer un sourire
fugace, qui se mua rapidement en une expression ouvertement
aggressive s'accompagnant d'une intensification brutale de son
cosmos. L'aspirant, apeuré, s'écarta immédiatement et déguerpit
sans demander son reste. A proximité des marches menant à la
maison du Bélier, il fut toutefois abordé par un homme un peu plus
jeune que lui, aux cheveux noirs en bataille et aux yeux marrons
très rieurs, voire moqueurs :
"Voilà donc le graaaand
Yaga, nouveau chevalier d'Argent d'Orion !
- Ecarte-toi, j'ai à faire au Sanctuaire...
- Loin de moi l'idée de retenir un homme si puissant ! lâcha le
jeune homme avec un sourire en coin.
- Allez, passe ton chemin et laisse-moi continuer seul...
- Est-ce un crime de vouloir parler avec le dernier sujet de ragot
du Sanctuaire ? Le jeune homme marchait à ses côtés à présent,
et chacune de ses paroles s'accompagnait de grands gestes.
- Le dernier sujet de ragot ?! Yaga se retourna vers lui
brutalement, surpris, sans s'arrêter de marcher.
- Les nouvelles vont vite au Sanctuaire, tu devrais le savoir,
depuis le temps que tu es là...
- Je suis peut-être là depuis longtemps, mais toi, je ne te
connais pas, et pour tout te dire tu commences à m'éner...
- Et puis, difficile de rater une telle émanation de cosmos...
- Mais qu'est ce que tu racon...
- Sans oublier le tremblement de terre...
- Le tremblement de terre ?
- Allons allons, pas de fausse modestie, Yaga...
- Je ne sais même pas de quoi tu parles !
- Puissance et humilité, une combinaison parfaite pour un
chevalier...
- Ca suffit maintenant ! Va-t-en !"
Yaga
avait poussé l'importun de côté, manquant de l'envoyer à terre,
sans même s'arrêter de marcher. Le jeune homme, qui avait alors
clopiné sur quelques pas avant de trébucher, se releva,
s'épousseta et regarda nonchalamment le chevalier d'Orion
s'éloigner.
"Comme tu veux,
Yaga...on pourra discuter plus longtemps la prochaine fois !"
Un
peu plus et Yaga l'aurait applati. Non, il ne comptait pas
rencontrer à nouveau cet impertinent. Il ne valait mieux pas. Il
écarta cette pensée, et commença à gravir les marches, vers le
temple du Bélier.
La première maison. Celle de Soos, chevalier d'Or du Bélier.
Au bout de l'escalier, il s'avança avec méfiance dans l'ombre du
temple. Ce chevalier d'Or n'était pas spécialement son préféré.
Dur et impitoyable, avec ses ennemis comme ses alliés. Bien sûr,
il était loin d'être le seul, mais le sourire qu'il arborait quand
il humiliait les apprentis trop présomptueux, sans violence
excessive mais sans aucune compassion non plus, le rendait quelque
peu antipathique.
"Tiens tiens, un
parvenu... ton cynique, provenant d'un coin sombre, sur le côté
du temple.
- Ne t'en fais pas, je ne vais pas m'attarder, lâcha Yaga à la
silhouette paresseusement adossée à une colonne.
- Mais j'espère bien...tu le regretterais amèrement.
- Je ne cherche pas à me battre...
- Moi non plus. Ce n'est dans l'intérêt de personne. Et de toute
façon, j'ai des ordres. Allez, passe."
Yaga
ne se fit pas prier, et traversa promptement la maison de Soos,
sans regarder en arrière, sans se presser tout en espérant en
sortir le plus vite possible, avant de recommencer son ascension.
Soos l'inquiétait. C'était un des rares dont il n'osait pas ne
serait-ce que penser du mal, de peur qu'il puisse lire dans ses
pensées. A la façon dont il fixait les gens, on avait l'impression
qu'il leur triturait l'esprit pour en extraire ce qui
l'intéressait. C'est donc avec soulagement qu'il finit par
arriver, après de longues minutes, en vue de la deuxième maison,
celle de Proclès. Proclès, le colosse. Proclès, chevalier d'Or du
Taureau. Le plus vieux chevalier en activité, du haut de ses 52
ans. Yaga sourit involontairement, en pensant à tout ceux qui
avaient douté de ses capacités et qui avaient alors ressenti toute
l'intensité de son cosmos, combinée à son incomparable expérience.
Agésilas avait beau eu lui expliquer que Athéna apportait son
soutien aux jeunes gens, même son maître ne pouvait qu'admettre
l'évidence: le vieux chevalier les dépassait tous, sur tous les
plans. Et à ceux qui lui conseillaient de se retirer au sommet de
sa gloire, il souriait et se contentait de leur prouver qu'ils se
faisaient des idées. Yaga pénétra dans la maison, et chercha son
gardien des yeux. Personne...étrange. Intrigué, Yaga ne s'attarda
pas pour autant et traversa la maison pour continuer son
ascension. A ce rythme là, il allait y passer la moitié de la
journée. Il accélera donc et se mit à courir. Il était encore
faible, et même blessé, mais l'armure semblait le porter vers
l'avant. Il grimpait maintenant les marches quatre à quatre, un
sourire aux lèvres. Il s'étonna même d'arriver si vite en vue de
la troisième maison, celle du chevalier d'Or Agis. Agis des
Gémeaux...sa course fut brutalement interrompue en même temps que
ses pensées. Yaga avait soudain été soulevé de terre et précipité
contre les dalles qui bordaient l'entrée de la maison. Par tous
les dieux, si jamais ils existent, que ça pouvait faire mal.
"Maître Agis a horreur
qu'on court à proximité de sa maison."
En
serrant les dents, Yaga se leva lentement, puis alla ramasser son
casque et regarda le serviteur.
"Merci de me
prévenir...mais s'il pouvait s'abstenir de se servir de
télékinésie la prochaine fois, ça m'arrangerait bien... Yaga
massa sa nuque douloureuse avec une grimace.
- Il serait plus judicieux de lui faire la remarque en personne.
- Alors je crois que je ferais avec la télékinésie...
- Encore plus judicieux.
- Il est là ?
- Il travaille. Il m'a demandé de te signaler son aversion pour ce
genre de manifestation sportive en sa demeure...le serviteur
rajouta, avec un sourire malicieux : en clair, évite de courir
ou de manifester ton cosmos a proximité de sa maison, ça
l'agace...
- Je crois que j'ai compris.
- Passe discrètement la maison, et tout ira bien. Et encore
félicitations."
Yaga
le remercia d'un signe de tête, et traversa calmement la maison.
Agis, un chevalier strict, travailleur, constamment en train de
martyriser les apprentis ou d'éplucher des piles de livres. Agis,
qui ne s'accordait jamais de temps libre. Agis, enfin, qui était
l'un des plus fervents partisans de la supériorité grecque. Et
donc qui considérait que les armures sacrées leur revenaient de
droit. Autant dire qu'il ne devait que moyennement apprécier le
succès de Yaga. Celui-ci, une fois à bonne distance de la
troisième maison, reprit sa course.
Agésilas du Cancer. Il approchait de la quatrième maison,
celle de son propre maître. Fort, dynamique, rapide. Moins sévère
que Yaga ne l'aurait souhaité. Il avait souvent reproché à
Agésilas de trop le ménager. Souvent en désaccord avec certains
autres chevaliers d'Or. Encore une fois, personne. Yaga haussa les
épaules et continua en direction de la maison suivante.
Alcmène du Lion. Un cas particulier chez les chevaliers
d'Or. Comme Yaga, il n'était pas originaire de Grèce, mais ses
origines lui apportaient encore plus de problèmes qu'au jeune
homme du nord. Yaga, tandis qu'il courait vers la maison, voyait
le chevalier à la peau d'ébène lui sourire de toutes ses dents.
Alcmène avait été esclave à Athènes, avant d'être acheté puis
libéré quelques années plus tard par un homme généreux dont il
avait pris le nom en signe de reconnaissance. La prétendue cité
démocratique se complaisait allègrement dans ces pratiques
esclavagistes qui, d'après ce que Yaga savait de cette fameuse
notion de démocratie, ne cadraient pas vraiment. Considérer des
hommes et des femmes comme des objets n'était pas spécialement un
signe de dialogue et d'égalité.
"Et c'est moi le
barbare..."
Dans
le dernier édifice du Sanctuaire, au pied de la gigantesque statue
d'Athéna, le Grand Pope, assis sur son trône, tentait de calmer le
chevalier du Sagittaire.
"Il n'y a aucune raison
de s'inquiéter Areus. Yaga a gagné et mérité son armure.
- Grand Pope, je reste persuadé que c'est une grave erreur de lui
laisser cette armure d'Argent ! Il est brutal, il ne contrôle pas
son cosmos correctement, et autant que je sache, ne croit même pas
à Athéna !
- Qu'en sais-tu, Areus ? A-t-il ouvertement nié ou insulté Athéna
?
- Non, mais...
- Alors ne lance pas d'accusations en l'air. Même si jusqu'ici il
n'a pas fait preuve d'une dévotion débordante, il n'en a pas moins
toujours suivi les règles. Le Grand Pope s'accorda une
demi-seconde de réflexion. Plus ou moins.
- Il a attaqué des aspirants il y a deux nuits ! Deux blessés
graves et un disparu ! Et ce n'est pas le premier qui s'évapore de
cette façon ! A ce que j'ai entendu, c'est Yaga qui a attaqué
Gryllus !
- Areus, calme-toi ! La voix de l'immense Proclès raisonna dans
toute la salle. Que veux-tu faire ? Aller lui défoncer le
crâne pour que l'armure soit à nouveau enterrée sous cette
montagne ? Yaga est le seul à avoir jamais pu la découvrir.
Beaucoup ont essayé, un bon nombre ont vaincu les traqueurs et ont
fini par s'entretuer. Mais il est le seul à qui l'armure soit
venue. Que veux-tu donc comme preuve qu'il en est digne ?"
Areus
serra les poings, en fixant le chevalier du Taureau, puis
s'inclina rapidement devant le Pope avant de s'en aller sans
demander son reste.
"J'aimerais bien savoir
ce qui lui prend. Il n'a jamais apprécié Yaga, mais à ce
point-là...
- Ne t'en fais pas, Agésilas. C'est sa fierté qui parle, rien
d'autre.
- J'espère...
- Et Gryllus alors ? Quelqu'un l'a retrouvé ?
- Non. Il semblerait qu'il ait quitté le Sanctuaire...
- J'ai perdu la trace du cosmos de mon apprenti. Aucune idée de
l'endroit où il a pu aller. Le chevalier des Poissons, aux côté
de Proclès, avait encore le regard fixé sur la porte de la salle,
par laquelle Areus était sorti. Quand à Areus et Yaga, c'est
peut-être tout simplement une question de...préférences ? Nous
savons tous que les étrangers sont parfois victimes de leurs
origines... il braqua son regard sur le chevalier du Scorpion :
n'est-ce pas, Euryphon ?
- Je peux savoir pourquoi tu me regarde comme ça, répondit
l'intéressé ?
- Rien, je me sentais juste solidaire...mais bien sûr, mes
origines barbares ne me permettent sûrement pas d'évaluer la
situation avec clairvoyance. Le nord de la Grande Grèce est
tellement arriéré...
- Puisque tu l'avoues toi-même, Charilaos, je n'ai plus rien à
ajouter...
- ASSEZ, VOUS DEUX ! La voix de Proclès raisonna une fois de
plus, jusqu'à en faire trembler les chevaliers réunis. Nous ne
sommes pas là pour débattre de ces imbécilités !
- Exact. Désolé Proclès, reprit le chevalier des Poissons.
Comme je le disais, j'ai perdu la trace de Gryllus. Si seulement
il n'avait pas fréquenté ces abrutis, peut-être qu'il aurait fini
par comprendre que nous sommes tous pareils, quelques soient nos
origines. Peut-être qu'il aurait appris à me respecter.
Malheureusement, il y aura toujours des intolérants. Partout, même
ici... ajouta-t-il, avec un regard en coin à Euryphon. En
tout cas, tant pis pour Gryllus.
- C'est tout ce que tu éprouves après la disparition de ton
apprenti, Charilaos ? Agésilas semblait particulièrement triste
de la réaction de son ami.
- Et comment voudrais-tu que je réagisse ? Malgré tous mes
efforts, il s'est laissé embarquer dans ce climat de mépris qui
infeste tout le Sanctuaire...il en est même venu à m'insulter...moi
qui l'entraîne depuis des années...tant pis pour lui. Si ton
apprenti lui à donné une correction, tant mieux pour lui.
- Assez parlé des apprentis, reprit le Grand Pope. Nous
sommes ici pour évoquer quelque chose de bien plus grave. Comme
vous le savez probablement déjà, on nous a signalé la présence de
ce qui semblerait être des chevaliers, un peu partout autour du
bassin maritime. Aussi bien en Gaule qu'en Egypte. Le problème
étant que nous n'avons envoyé aucun chevalier, ni aucun traqueur
dans ces régions dernièrement.
- J'ai entendu les rumeurs. Aucun fondement, pour moi.
- Populations trop arriérées, c'est bien celà, n'est-ce pas
Euryphon ? Charilaos continuait de narguer ouvertement le
chevalier du Scorpion. Qui se fit un devoir de lui renvoyer son
regard, tout aussi mauvais, avant de répliquer sèchement :
- Sans aller jusque là, je me contenterais de dire qu'ils n'ont
sûrement pas les connaissances pour reconnaître un chevalier
d'Athéna.
- Toujours est-il que les descriptions qui nous ont été transmises
semblent crédibles. Aucun peuple n'utilise de telles protections,
même de formes semblables.
- Admettons que les descriptions puissent être crédibles, Grand
Pope, qu'est-ce qui vous fait dire qu'il puisse s'agir d'armures
sacrées ? Euryphon continuait de douter. Il ne voyait vraiment
pas ce qui les retenait tous ici.
- Des Mariners ? Des Spectres ? Charilaos semblait nettement
plus intéressé par l'affaire.
- Nous n'avons aucune preuve du retour d'une quelconque divinité
majeure sur Terre. Dans tous les cas, il est nécessaire d'enquêter
sur ces hommes, et découvrir qui ils sont, si jamais ils existent.
Proclès, je te charge d'organiser les groupes. Cantonne-toi à des
chevaliers de Bronze, nous n'en sommes pas encore à déployer des
forces trop importantes. Charilaos, essaie de retrouver ton
apprenti, et enquête sur ces disparitions. Agésilas, rends-toi à
Delphes et...
- A Delphes ?! Ne me dites pas que vous voulez encore que je...
- ...que tu ailles t'entretenir avec la Pythie. Apporte-lui une
offrande, et retiens bien ses paroles. Quant à toi Euryphon,
rends-toi en Asgard, et vois ce qu'ils peuvent nous apprendre.
- Asgard ? Ce pays est très jeune, et Odin et ses suivants ne se
sont pas montrés aggressifs envers le reste des royaumes alentours
jusqu'ici. Je ne pense pas que...
- Euryphon, ne conteste pas les ordres. Rends-toi là bas et tâche
de te renseigner. Peut-être ont-ils quelque chose à voir avec tout
ça.
- A vos ordres."
Les
trois chevaliers d'Or s'inclinèrent vaguement, avant de quitter
rapidement la pièce, tous plus mécontents les uns que les autres.
Le grand Pope s'autorisa un soupir, puis ôta lentement son masque,
puis le casque que sa fonction lui imposait. Une fonction qui
pesait de plus en plus lourd au fil des ans.
"Je crois que je me fais
vieux Proclès.
- Ne crois pas être le seul, mon ami. Ces jeunes gens n'ont
décidemment aucun sens des responsabilités.
- Tu viens de le dire, ils sont jeunes. Ils apprendront...d'autant
que aucun n'a connu de véritable bataille. Crois-moi : ils seront
bien obligés de se serrer les coudes quand ils seront tous acculés
et sur le point de mourir.
- Tu deviens cynique. Tu as raison finalement : tu vieillis plus
vite que moi."
Proclès
fut content de voir un discret sourire sur le visage du Pope. Il y
avait peu de choses qui parvenaient encore à lui en arracher un,
tellement la gestion du Sanctuaire lui causait du tracas. Les
vingt dernières années avaient vu un sordide mouvement
d'intolérance se répandre dans ce qui aurait dû être le lieu le
plus cosmopolite et le plus universel de cette pauvre planète. La
Grèce, un ensemble de cités regroupant des peuples "civilisés".
Quand il était plus jeune, Proclès riait de bon coeur de ces
bêtises. A présent, il déchantait. Même parmi les plus valeureux
et les plus sages des membres du Sanctuaire, certains ne pouvaient
s'empêcher d'adhérer à cette théorie farfelue de leur supériorité
évidente. Et ces conflits minaient son ami depuis tellement
longtemps.
"Et Yaga ? Pourquoi
l'as-tu convoqué ? Tu ne veux tout de même pas l'envoyer pour
enquêter ?
- Pourquoi ? Tu penses qu'il n'est pas encore capable de remplir
une mission ? Ou qu'il n'est pas assez patient pour quelque chose
d'aussi peu..."dynamique" qu'une enquête ?
- Je dois vraiment répondre ? Autant Proclès estimait Yaga et
savait que ce n'était pas un mauvais bougre, autant il doutait
largement de sa maturité.
- Inutile. j'ai une meilleure idée de toute façon.
- Tu m'en diras tant."
Cette fois, le chevalier du Taureau jeta un coup d'oeil inquiet au
visage du Pope. Le sourire qu'il arborait cette fois était tout à
fait différent. Un souvenir de sa jeunesse. Un sourire espiègle.
Euryphon,
Agésilas et Charilaos se dirigeaient vers la sortie du temple dans
un silence de mort. Le chevalier du Cancer avait beau chercher, il
ne voyait pas comment réconcilier ses deux compagnons. La
susceptibilité du chevalier des Poissons, contre l'effroyable
manque de tact du chevalier du Scorpion.
"Ecoutez, je sais que
vous avez eu des différents ces derniers temps, mais il est
sûrement possible de trouver une solution, non ?
- Quand Charilaos renoncera à me provoquer toutes les deux
minutes, on pourra peut-être arranger ça...
- Quand Euryphon en aura assez de jouer à l'imbécile et arrêtera
de fréquenter assidûment certaines personnes, ça pourra se
faire...
- Mais enfin, vous n'en avez pas assez tous les deux ?! Pas un
pour rattraper l'autre ! Vous pensez pouvoir continuer combien de
temps comme ça ?
Euryphon prit
un virage et se dirigea droit vers une des ailes du Temple, sans
même regarder les deux autres chevaliers. Le Cancer s'arrêta, et
le regarda tristement s'éloigner. Il avait beaucoup de mal à
accepter que ses compagnons d'armes puissent se déchirer de
manière si horrible...tout ça pour un petit incident...
"Tu es trop naïf, Agésilas. Le chevalier des Poissons avait lui
aussi fait une halte. Le Cancer sentit dans sa voix un peu de
tristesse. Lui aussi regrettait-il la situation actuelle ?
- Naïf peut-être...déçu, certainement.
- Tu n'es pas responsable de tout ça. Cette histoire ne te regarde
pas.
- Bien sûr que je suis concerné. Tout le monde l'est. Tout ça
pour...
-...pour des broutilles...oui peut-être...mais il serait temps que
tu l'acceptes : le Sanctuaire n'est pas une grande famille où tout
le monde apprécie tout le monde. Ce n'est pas moi qui prêche
l'intolérance, tu le sais bien. Si je pouvais mettre fin à tout
ça, je le ferais sur-le-champ. Mais certaines personnes ont la
tête un peu trop dure pour entendre ce que les autres ont à dire."
Puis
Charilaos partit de son côté, laissant le chevalier du Cancer
seul, triste, au milieu d'un long couloir dont le marbre lui
paraissait du coup bien terne.
"Dépêche-toi maintenant,
tu dois déjà être très en retard. Et surtout, ne te laisse pas
faire par certains de mes chers voisins, si jamais tu les croises.
Ils aboient beaucoup, mais finalement ils ne mordent pas si le
maître ne leur en donne pas l'autorisation.
- A bientôt Alcmène !"
Alcmène
l'avait coincé trente bonnes minutes, uniquement pour l'obliger à
raconter ce qui s'était passé, détails compris. Il l'avait
finalement littéralement traîné vers la sortie, et mis dehors pour
surtout qu'il n'arrive pas trop en retard, comme il avait dit.
Alcmène. Yaga accéléra à nouveau et se dirigeait vers la maison
suivant avec joie. La vie de chevalier n'était finalement pas si
désagréable que ça. Le reste de l'ascension fut calme, la majorité
des chevalier d'Or étant semble-t-il absents. Seul le paisible
Anaxandre, gardien de la Maison de la Vierge lui adressa un mot
amical, les autres Maisons rapidement dépassées grâce aux
serviteurs. En excluant évidemment le regard noir et
désapprobateur de son si grand ami Areus, on eut dit que plus rien
ne pouvait troubler cette belle journée. Même ce satané soleil ne
lui ferait pas perdre sa bonne humeur aujourd'hui.
C'est
avec résolution, et une fierté mal dissimulée qu'il passa entre
les gardes du palais du Pope et se fit ouvrir les porte en grand.
Son casque sous le bras, il s'avança jusqu'au pied de l'estrade ou
trônait le Grand Pope, et Proclès à sa droite, les bras croisés,
puis mit un genou à terre.
"Yaga, chevalier de la
constellation d'Orion. Je réponds à votre convocation. Yaga
jubilait. Même si, à l'origine l'armure n'avait été qu'un moyen de
survie dans ce milieu hostile, son opinion avait changé depuis la
veille : c'était un prestige indéniable, qui avait ses avantages.
Et il se prenait parfois à répéter son titre dans sa tête, comme
pour en apprécier la sonorité.
- Avec un peu de retard.
- Exc...excusez-moi Grand Pope, je...j'ai...
- Je sais. Alcmène a tendance à se montrer trop bavard.
- ... Yaga ne voyait pas quoi dire. Il savait très bien que le
Grand Pope semblait toujours au courant de tout ce qui se passait
sur son domaine. Mais il hésitait à répondre à propos d'Alcmène :
ce dernier était un chevalier d'Or, et Yaga n'avait pas à émettre
une opinion sur un homme qui lui était supérieur.
- Qu'importe, nous ne sommes pas là pour ça. Je t'ai convoqué pour
te confier une mission. Un long voyage s'imposera.
- A vos ordres ! Cette fois, le chevalier d'Orion était aux
anges. Il trépignait presque. Enfin on allait lui donner un rôle,
quelque chose d'important à coup sûr !
- Mais étant donné ton inexpérience, j'ai décidé de t'atjoindre un
compagnon de route. Vous ne serez pas trop de deux.
Un
peu surpris, Yaga repris vite sa contenance. Si le Grand Pope
comptait envoyer deux chevaliers sur la même mission, elle devait
être de taille. En effet, il était rare que plusieurs chevaliers
soient envoyés ensemble. Le Sanctuaire vivait dans une période de
paix relative, et la présence de chevaliers de par le monde
n'était pas nécessaire. Il entendit la lourde porte de la salle du
trône s'ouvrir en grinçant, et se retourna. Puis grimaça.
"C'est pas vrai... grommela
Yaga entre ses dents.
- Maya, chevalier de la Flèche. Je réponds à votre convocation.
Un jeune homme, plus jeune et bien plus petit que lui, s'avançait
en souriant franchement, les cheveux en bataille, les yeux marrons
brillants de malice et de défi, jouant avec son casque. Il
regardait Yaga d'un air amical qui déplaisait franchement au
chevalier d'Orion. Il aurait dû l'écraser au pied des marches.
- Vous allez faire équipe, chevaliers.
- Grand Pope, est-ce bien nécessaire ? Je pense que j'y arriverait
bien tout seul.
- Yaga, tu viens à peine de recevoir ton armure et ton titre. Je
ne pense pas que tu sois à même d'accomplir une quelconque mission
seul. Maya te permettra de t'accoutûmer à tes nouvelles charges.
- C'est un vrai plaisir pour moi ! Je sens qu'on va bien
s'entendre, mon ami !"
Être
obligé de voyager avec ça. Yaga n'en revenait pas. Subir huit
années d'entraînement, affronter les brimades et les coups de ses
supposés camarades, risquer sa vie des dizaines de fois, retourner
des cailloux pour trouver une armure...tout ça pour devoir
supporter un bavard impénitent et pénible. Dès le premier coup
d'oeil, Yaga savait qu'il ne l'aimerait pas. Ca se confirmait à
présent. Mais il n'aurait jamais imaginé que cet avorton puisse
être un chevalier. D'Argent qui plus est. Un vrai cauchemar. Et
Maya continuait de le regarder joyeusement, en lui tendant la
main. Il avait l'air sincère. Yaga allait le tuer.
" On n’est pas amis..."
Fin du
Chapitre 3
Cette
fanfic est la propriété de Nicolas Morgenthaler (c) 2005
Saint Seiya est une création de Masami Kurumada. Tous droits
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