Chasse Eternelle Chap.3
-Douze Maisons et deux cauchemars-

 
   

"Il est notoire que le Grand Pope Dracon n'a pas été capable de se faire réellement respecter de ses subordonnés. Les mémoires et les textes qu'ont laissés ses contemporains montrent clairement que le Sanctuaire était en proie au chaos le plus total. A se demander comment un tel être a pu accéder à une telle dignité." - Léandre, chevalier d'Or du Verseau.

"Nous ne saurons jamais ce qui s'est réellement passé en cette période de crise. Les traces de témoignages semblent évoquer de profondes dissensions au sein même du Zodiaque d'or, mais toutes tentatives de précisions ne seraient que vaines extrapolations." - Dohko, chevalier d'Or de la Balance.

 

      Tout était noir. Le sol, le ciel...rien en vue. Perdu dans un océan de ténèbres qui semblait ne pas avoir de fin. Seul. Pas un son, pas un souffle de vent. Incapable de bouger. Incapable de parler.

      Yaga se redressa brutalement sur son lit de fortune. Encore ce cauchemar. Toujours ce cauchemar. Le matin, déjà...les rayons du soleil filtraient à travers les fissures du panneau de bois qui servait de volet et l'éblouissaient un peu. Il regarda la pièce, la seule de la petite masure. Cela faisait trop longtemps qu'il vivait dans ce taudis. Si seulement ces maudits Grecs ne faisaient pas tout pour l'empêcher de vivre convenablement...Yaga pivota pour sortir de son lit et réprima une grimace de douleur. Fichue paillasse. Heureusement, le Grand Pope prévoyait apparemment de lui céder une maison plus confortable, digne d'un chevalier d'Argent. Parfait, ça lui éviterait peut-être les douleurs quotidiennes dûes à un confort plus que précaire.
      Une nouvelle fois, il fit le tour de ses maigres possessions. Facile, quand tout se concentrait dans un si petit espace. Son regard finit par tomber sur l'urne, et il sourit. Elle semblait luire même dans la pénombre.
      Il se lava rapidement avec le peu d'eau qui restait dans le baquet qui traînait dans un coin. Ca aussi, c'était fini à présent. Enfilant pour la première fois le vêtement qu'on lui avait remis, il en apprécia la texture et la conception. D'une pièce, comme les tenues d'entraînements...mais bien plus léger, plus solide aussi...par conséquent beaucoup moins déchiré. Il renifla avec mépris en pensant à l'infâme tas de chiffon bardé de métal qu'on obligeait les apprentis à porter. Il se demanda brièvement comment se faisait-il que, dès son retour de l'épreuve, on avait pu lui fournir. Après tout, Callinès aurait tout aussi bien pu gagner, et il était d'une corpulence bien plus impressionnante. Ils n'avaient pas pu fabriquer cette tenue à l'avance. Tant pis, cela importait peu après tout.
      Il avait été très impressionné quand, lorsqu’il fut temps de retirer l'armure, celle-ci se sépara d'elle-même de lui pour se reconstituer sous une forme humanoïde. D'autant plus qu'il ne se souvenait pas du tout comment elle était arrivé sur son dos. Avec précaution, il ouvrit l'urne, dont les côtés tombèrent pour laisser apparaître l'armure d'Orion. Avec tout autant de soin, il en détacha chaque partie, et les enfila une par une. Il aurait pu le faire de la même façon qu'il l'avait retiré, mais il craignait que la maison ne s'écroule sur lui si le phénomène de la veille se reproduisait. Il sourit en pensant que, après tout, ça n'aurait pas été très grave.
      Quant il eut fini, il sortit et se dirigea vers les douze maisons. Il était convoqué chez le Pope, comme la veille.
      Comme la veille, il put voir le regard qu'on lui portait. Un regard différent. Crainte mêlée de respect, voire d'admiration. Il découvrait peu à peu un autre aspect de la chevalerie: devenir un héros pour le commun des mortels. Avec ses bons, mais aussi ses mauvais côtés, pensa-t-il en voyant du coin de l'oeil l'avorton de la nuit dernière -celui qui avait tenté de le retenir pendant que Gryllus le frappait- avec un bandage lui barrant le nez. Il le regarda dans les yeux quelques secondes et continua sa route. Toutes ces brimades étaient loin derrière lui maintenant.
      Il croisa un chevalier de Bronze, qui le salua d'un signe de tête. Il répondit de la même façon, en souriant intérieurement. Il y a deux jours, ce chevalier ne l'aurait même pas regardé. Depuis qu'il avait obtenu son armure, tout avait changé.

      La veille, il s'était rendu tout de suite au Sanctuaire, comme le lui avait dit Ménidis. Et de nouveau, il marchait droit vers les douze maisons, il ne passa pas par le village, mais croisa tout de même un certain nombre de personnes, chevaliers ou simples serviteurs, et la plupart s'écartait sur son passage et l'observait à bonne distance. Rares sont ceux qui lui adressèrent alors la parole. Certains néanmoins lui sourirent, plus ou moins sincèrement, et quelques uns le félicitèrent. Plus nombreux furent ceux qui l'évitèrent soigneusement, ou, pour les plus courageux, affichèrent clairement leur mépris, particulièrement chez les aspirants chevaliers. Yaga se permit d'en toiser un qui se tenait sur sa route et le défiait ouvertement et de lui lancer un sourire fugace, qui se mua rapidement en une expression ouvertement aggressive s'accompagnant d'une intensification brutale de son cosmos. L'aspirant, apeuré, s'écarta immédiatement et déguerpit sans demander son reste. A proximité des marches menant à la maison du Bélier, il fut toutefois abordé par un homme un peu plus jeune que lui, aux cheveux noirs en bataille et aux yeux marrons très rieurs, voire moqueurs :

"Voilà donc le graaaand Yaga, nouveau chevalier d'Argent d'Orion !
- Ecarte-toi, j'ai à faire au Sanctuaire...
- Loin de moi l'idée de retenir un homme si puissant ! lâcha le jeune homme avec un sourire en coin.
- Allez, passe ton chemin et laisse-moi continuer seul...
- Est-ce un crime de vouloir parler avec le dernier sujet de ragot du Sanctuaire ? Le jeune homme marchait à ses côtés à présent, et chacune de ses paroles s'accompagnait de grands gestes.
- Le dernier sujet de ragot ?! Yaga se retourna vers lui brutalement, surpris, sans s'arrêter de marcher.
- Les nouvelles vont vite au Sanctuaire, tu devrais le savoir, depuis le temps que tu es là...
- Je suis peut-être là depuis longtemps, mais toi, je ne te connais pas, et pour tout te dire tu commences à m'éner...
- Et puis, difficile de rater une telle émanation de cosmos...
- Mais qu'est ce que tu racon...
- Sans oublier le tremblement de terre...
- Le tremblement de terre ?
- Allons allons, pas de fausse modestie, Yaga...
- Je ne sais même pas de quoi tu parles !
- Puissance et humilité, une combinaison parfaite pour un chevalier...
- Ca suffit maintenant ! Va-t-en !"

      Yaga avait poussé l'importun de côté, manquant de l'envoyer à terre, sans même s'arrêter de marcher. Le jeune homme, qui avait alors clopiné sur quelques pas avant de trébucher, se releva, s'épousseta et regarda nonchalamment le chevalier d'Orion s'éloigner.

"Comme tu veux, Yaga...on pourra discuter plus longtemps la prochaine fois !"

      Un peu plus et Yaga l'aurait applati. Non, il ne comptait pas rencontrer à nouveau cet impertinent. Il ne valait mieux pas. Il écarta cette pensée, et commença à gravir les marches, vers le temple du Bélier.
      La première maison. Celle de Soos, chevalier d'Or du Bélier. Au bout de l'escalier, il s'avança avec méfiance dans l'ombre du temple. Ce chevalier d'Or n'était pas spécialement son préféré. Dur et impitoyable, avec ses ennemis comme ses alliés. Bien sûr, il était loin d'être le seul, mais le sourire qu'il arborait quand il humiliait les apprentis trop présomptueux, sans violence excessive mais sans aucune compassion non plus, le rendait quelque peu antipathique.

"Tiens tiens, un parvenu... ton cynique, provenant d'un coin sombre, sur le côté du temple.
- Ne t'en fais pas, je ne vais pas m'attarder, lâcha Yaga à la silhouette paresseusement adossée à une colonne.
- Mais j'espère bien...tu le regretterais amèrement.
- Je ne cherche pas à me battre...
- Moi non plus. Ce n'est dans l'intérêt de personne. Et de toute façon, j'ai des ordres. Allez, passe."

      Yaga ne se fit pas prier, et traversa promptement la maison de Soos, sans regarder en arrière, sans se presser tout en espérant en sortir le plus vite possible, avant de recommencer son ascension. Soos l'inquiétait. C'était un des rares dont il n'osait pas ne serait-ce que penser du mal, de peur qu'il puisse lire dans ses pensées. A la façon dont il fixait les gens, on avait l'impression qu'il leur triturait l'esprit pour en extraire ce qui l'intéressait. C'est donc avec soulagement qu'il finit par arriver, après de longues minutes, en vue de la deuxième maison, celle de Proclès. Proclès, le colosse. Proclès, chevalier d'Or du Taureau. Le plus vieux chevalier en activité, du haut de ses 52 ans. Yaga sourit involontairement, en pensant à tout ceux qui avaient douté de ses capacités et qui avaient alors ressenti toute l'intensité de son cosmos, combinée à son incomparable expérience. Agésilas avait beau eu lui expliquer que Athéna apportait son soutien aux jeunes gens, même son maître ne pouvait qu'admettre l'évidence: le vieux chevalier les dépassait tous, sur tous les plans. Et à ceux qui lui conseillaient de se retirer au sommet de sa gloire, il souriait et se contentait de leur prouver qu'ils se faisaient des idées. Yaga pénétra dans la maison, et chercha son gardien des yeux. Personne...étrange. Intrigué, Yaga ne s'attarda pas pour autant et traversa la maison pour continuer son ascension. A ce rythme là, il allait y passer la moitié de la journée. Il accélera donc et se mit à courir. Il était encore faible, et même blessé, mais l'armure semblait le porter vers l'avant. Il grimpait maintenant les marches quatre à quatre, un sourire aux lèvres. Il s'étonna même d'arriver si vite en vue de la troisième maison, celle du chevalier d'Or Agis. Agis des Gémeaux...sa course fut brutalement interrompue en même temps que ses pensées. Yaga avait soudain été soulevé de terre et précipité contre les dalles qui bordaient l'entrée de la maison. Par tous les dieux, si jamais ils existent, que ça pouvait faire mal.

"Maître Agis a horreur qu'on court à proximité de sa maison."

      En serrant les dents, Yaga se leva lentement, puis alla ramasser son casque et regarda le serviteur.

"Merci de me prévenir...mais s'il pouvait s'abstenir de se servir de télékinésie la prochaine fois, ça m'arrangerait bien... Yaga massa sa nuque douloureuse avec une grimace.
- Il serait plus judicieux de lui faire la remarque en personne.
- Alors je crois que je ferais avec la télékinésie...
- Encore plus judicieux.
- Il est là ?
- Il travaille. Il m'a demandé de te signaler son aversion pour ce genre de manifestation sportive en sa demeure...le serviteur rajouta, avec un sourire malicieux : en clair, évite de courir ou de manifester ton cosmos a proximité de sa maison, ça l'agace...
- Je crois que j'ai compris.
- Passe discrètement la maison, et tout ira bien. Et encore félicitations."

      Yaga le remercia d'un signe de tête, et traversa calmement la maison. Agis, un chevalier strict, travailleur, constamment en train de martyriser les apprentis ou d'éplucher des piles de livres. Agis, qui ne s'accordait jamais de temps libre. Agis, enfin, qui était l'un des plus fervents partisans de la supériorité grecque. Et donc qui considérait que les armures sacrées leur revenaient de droit. Autant dire qu'il ne devait que moyennement apprécier le succès de Yaga. Celui-ci, une fois à bonne distance de la troisième maison, reprit sa course.
      Agésilas du Cancer. Il approchait de la quatrième maison, celle de son propre maître. Fort, dynamique, rapide. Moins sévère que Yaga ne l'aurait souhaité. Il avait souvent reproché à Agésilas de trop le ménager. Souvent en désaccord avec certains autres chevaliers d'Or. Encore une fois, personne. Yaga haussa les épaules et continua en direction de la maison suivante.
      Alcmène du Lion. Un cas particulier chez les chevaliers d'Or. Comme Yaga, il n'était pas originaire de Grèce, mais ses origines lui apportaient encore plus de problèmes qu'au jeune homme du nord. Yaga, tandis qu'il courait vers la maison, voyait le chevalier à la peau d'ébène lui sourire de toutes ses dents. Alcmène avait été esclave à Athènes, avant d'être acheté puis libéré quelques années plus tard par un homme généreux dont il avait pris le nom en signe de reconnaissance. La prétendue cité démocratique se complaisait allègrement dans ces pratiques esclavagistes qui, d'après ce que Yaga savait de cette fameuse notion de démocratie, ne cadraient pas vraiment. Considérer des hommes et des femmes comme des objets n'était pas spécialement un signe de dialogue et d'égalité.

"Et c'est moi le barbare..."

      Dans le dernier édifice du Sanctuaire, au pied de la gigantesque statue d'Athéna, le Grand Pope, assis sur son trône, tentait de calmer le chevalier du Sagittaire.

"Il n'y a aucune raison de s'inquiéter Areus. Yaga a gagné et mérité son armure.
- Grand Pope, je reste persuadé que c'est une grave erreur de lui laisser cette armure d'Argent ! Il est brutal, il ne contrôle pas son cosmos correctement, et autant que je sache, ne croit même pas à Athéna !
- Qu'en sais-tu, Areus ? A-t-il ouvertement nié ou insulté Athéna ?
- Non, mais...
- Alors ne lance pas d'accusations en l'air. Même si jusqu'ici il n'a pas fait preuve d'une dévotion débordante, il n'en a pas moins toujours suivi les règles. Le Grand Pope s'accorda une demi-seconde de réflexion. Plus ou moins.
- Il a attaqué des aspirants il y a deux nuits ! Deux blessés graves et un disparu ! Et ce n'est pas le premier qui s'évapore de cette façon ! A ce que j'ai entendu, c'est Yaga qui a attaqué Gryllus !
- Areus, calme-toi ! La voix de l'immense Proclès raisonna dans toute la salle. Que veux-tu faire ? Aller lui défoncer le crâne pour que l'armure soit à nouveau enterrée sous cette montagne ? Yaga est le seul à avoir jamais pu la découvrir. Beaucoup ont essayé, un bon nombre ont vaincu les traqueurs et ont fini par s'entretuer. Mais il est le seul à qui l'armure soit venue. Que veux-tu donc comme preuve qu'il en est digne ?"

      Areus serra les poings, en fixant le chevalier du Taureau, puis s'inclina rapidement devant le Pope avant de s'en aller sans demander son reste.

"J'aimerais bien savoir ce qui lui prend. Il n'a jamais apprécié Yaga, mais à ce point-là...
- Ne t'en fais pas, Agésilas. C'est sa fierté qui parle, rien d'autre.
- J'espère...
- Et Gryllus alors ? Quelqu'un l'a retrouvé ?
- Non. Il semblerait qu'il ait quitté le Sanctuaire...
- J'ai perdu la trace du cosmos de mon apprenti. Aucune idée de l'endroit où il a pu aller. Le chevalier des Poissons, aux côté de Proclès, avait encore le regard fixé sur la porte de la salle, par laquelle Areus était sorti. Quand à Areus et Yaga, c'est peut-être tout simplement une question de...préférences ? Nous savons tous que les étrangers sont parfois victimes de leurs origines... il braqua son regard sur le chevalier du Scorpion : n'est-ce pas, Euryphon ?
- Je peux savoir pourquoi tu me regarde comme ça, répondit l'intéressé ?
- Rien, je me sentais juste solidaire...mais bien sûr, mes origines barbares ne me permettent sûrement pas d'évaluer la situation avec clairvoyance. Le nord de la Grande Grèce est tellement arriéré...
- Puisque tu l'avoues toi-même, Charilaos, je n'ai plus rien à ajouter...
- ASSEZ, VOUS DEUX ! La voix de Proclès raisonna une fois de plus, jusqu'à en faire trembler les chevaliers réunis. Nous ne sommes pas là pour débattre de ces imbécilités !
- Exact. Désolé Proclès, reprit le chevalier des Poissons. Comme je le disais, j'ai perdu la trace de Gryllus. Si seulement il n'avait pas fréquenté ces abrutis, peut-être qu'il aurait fini par comprendre que nous sommes tous pareils, quelques soient nos origines. Peut-être qu'il aurait appris à me respecter. Malheureusement, il y aura toujours des intolérants. Partout, même ici... ajouta-t-il, avec un regard en coin à Euryphon. En tout cas, tant pis pour Gryllus.
- C'est tout ce que tu éprouves après la disparition de ton apprenti, Charilaos ? Agésilas semblait particulièrement triste de la réaction de son ami.
- Et comment voudrais-tu que je réagisse ? Malgré tous mes efforts, il s'est laissé embarquer dans ce climat de mépris qui infeste tout le Sanctuaire...il en est même venu à m'insulter...moi qui l'entraîne depuis des années...tant pis pour lui. Si ton apprenti lui à donné une correction, tant mieux pour lui.
- Assez parlé des apprentis, reprit le Grand Pope. Nous sommes ici pour évoquer quelque chose de bien plus grave. Comme vous le savez probablement déjà, on nous a signalé la présence de ce qui semblerait être des chevaliers, un peu partout autour du bassin maritime. Aussi bien en Gaule qu'en Egypte. Le problème étant que nous n'avons envoyé aucun chevalier, ni aucun traqueur dans ces régions dernièrement.
- J'ai entendu les rumeurs. Aucun fondement, pour moi.
- Populations trop arriérées, c'est bien celà, n'est-ce pas Euryphon ? Charilaos continuait de narguer ouvertement le chevalier du Scorpion. Qui se fit un devoir de lui renvoyer son regard, tout aussi mauvais, avant de répliquer sèchement :
- Sans aller jusque là, je me contenterais de dire qu'ils n'ont sûrement pas les connaissances pour reconnaître un chevalier d'Athéna.
- Toujours est-il que les descriptions qui nous ont été transmises semblent crédibles. Aucun peuple n'utilise de telles protections, même de formes semblables.
- Admettons que les descriptions puissent être crédibles, Grand Pope, qu'est-ce qui vous fait dire qu'il puisse s'agir d'armures sacrées ? Euryphon continuait de douter. Il ne voyait vraiment pas ce qui les retenait tous ici.
- Des Mariners ? Des Spectres ? Charilaos semblait nettement plus intéressé par l'affaire.
- Nous n'avons aucune preuve du retour d'une quelconque divinité majeure sur Terre. Dans tous les cas, il est nécessaire d'enquêter sur ces hommes, et découvrir qui ils sont, si jamais ils existent. Proclès, je te charge d'organiser les groupes. Cantonne-toi à des chevaliers de Bronze, nous n'en sommes pas encore à déployer des forces trop importantes. Charilaos, essaie de retrouver ton apprenti, et enquête sur ces disparitions. Agésilas, rends-toi à Delphes et...
- A Delphes ?! Ne me dites pas que vous voulez encore que je...
- ...que tu ailles t'entretenir avec la Pythie. Apporte-lui une offrande, et retiens bien ses paroles. Quant à toi Euryphon, rends-toi en Asgard, et vois ce qu'ils peuvent nous apprendre.
- Asgard ? Ce pays est très jeune, et Odin et ses suivants ne se sont pas montrés aggressifs envers le reste des royaumes alentours jusqu'ici. Je ne pense pas que...
- Euryphon, ne conteste pas les ordres. Rends-toi là bas et tâche de te renseigner. Peut-être ont-ils quelque chose à voir avec tout ça.
- A vos ordres."

      Les trois chevaliers d'Or s'inclinèrent vaguement, avant de quitter rapidement la pièce, tous plus mécontents les uns que les autres. Le grand Pope s'autorisa un soupir, puis ôta lentement son masque, puis le casque que sa fonction lui imposait. Une fonction qui pesait de plus en plus lourd au fil des ans.

"Je crois que je me fais vieux Proclès.
- Ne crois pas être le seul, mon ami. Ces jeunes gens n'ont décidemment aucun sens des responsabilités.
- Tu viens de le dire, ils sont jeunes. Ils apprendront...d'autant que aucun n'a connu de véritable bataille. Crois-moi : ils seront bien obligés de se serrer les coudes quand ils seront tous acculés et sur le point de mourir.
- Tu deviens cynique. Tu as raison finalement : tu vieillis plus vite que moi."

      Proclès fut content de voir un discret sourire sur le visage du Pope. Il y avait peu de choses qui parvenaient encore à lui en arracher un, tellement la gestion du Sanctuaire lui causait du tracas. Les vingt dernières années avaient vu un sordide mouvement d'intolérance se répandre dans ce qui aurait dû être le lieu le plus cosmopolite et le plus universel de cette pauvre planète. La Grèce, un ensemble de cités regroupant des peuples "civilisés". Quand il était plus jeune, Proclès riait de bon coeur de ces bêtises. A présent, il déchantait. Même parmi les plus valeureux et les plus sages des membres du Sanctuaire, certains ne pouvaient s'empêcher d'adhérer à cette théorie farfelue de leur supériorité évidente. Et ces conflits minaient son ami depuis tellement longtemps.

"Et Yaga ? Pourquoi l'as-tu convoqué ? Tu ne veux tout de même pas l'envoyer pour enquêter ?
- Pourquoi ? Tu penses qu'il n'est pas encore capable de remplir une mission ? Ou qu'il n'est pas assez patient pour quelque chose d'aussi peu..."dynamique" qu'une enquête ?
- Je dois vraiment répondre ? Autant Proclès estimait Yaga et savait que ce n'était pas un mauvais bougre, autant il doutait largement de sa maturité.
- Inutile. j'ai une meilleure idée de toute façon.
- Tu m'en diras tant."
Cette fois, le chevalier du Taureau jeta un coup d'oeil inquiet au visage du Pope. Le sourire qu'il arborait cette fois était tout à fait différent. Un souvenir de sa jeunesse. Un sourire espiègle.

      Euryphon, Agésilas et Charilaos se dirigeaient vers la sortie du temple dans un silence de mort. Le chevalier du Cancer avait beau chercher, il ne voyait pas comment réconcilier ses deux compagnons. La susceptibilité du chevalier des Poissons, contre l'effroyable manque de tact du chevalier du Scorpion.

"Ecoutez, je sais que vous avez eu des différents ces derniers temps, mais il est sûrement possible de trouver une solution, non ?
- Quand Charilaos renoncera à me provoquer toutes les deux minutes, on pourra peut-être arranger ça...
- Quand Euryphon en aura assez de jouer à l'imbécile et arrêtera de fréquenter assidûment certaines personnes, ça pourra se faire...
- Mais enfin, vous n'en avez pas assez tous les deux ?! Pas un pour rattraper l'autre ! Vous pensez pouvoir continuer combien de temps comme ça ?

      Euryphon prit un virage et se dirigea droit vers une des ailes du Temple, sans même regarder les deux autres chevaliers. Le Cancer s'arrêta, et le regarda tristement s'éloigner. Il avait beaucoup de mal à accepter que ses compagnons d'armes puissent se déchirer de manière si horrible...tout ça pour un petit incident...
"Tu es trop naïf, Agésilas. Le chevalier des Poissons avait lui aussi fait une halte. Le Cancer sentit dans sa voix un peu de tristesse. Lui aussi regrettait-il la situation actuelle ?
- Naïf peut-être...déçu, certainement.
- Tu n'es pas responsable de tout ça. Cette histoire ne te regarde pas.
- Bien sûr que je suis concerné. Tout le monde l'est. Tout ça pour...
-...pour des broutilles...oui peut-être...mais il serait temps que tu l'acceptes : le Sanctuaire n'est pas une grande famille où tout le monde apprécie tout le monde. Ce n'est pas moi qui prêche l'intolérance, tu le sais bien. Si je pouvais mettre fin à tout ça, je le ferais sur-le-champ. Mais certaines personnes ont la tête un peu trop dure pour entendre ce que les autres ont à dire."

      Puis Charilaos partit de son côté, laissant le chevalier du Cancer seul, triste, au milieu d'un long couloir dont le marbre lui paraissait du coup bien terne.

"Dépêche-toi maintenant, tu dois déjà être très en retard. Et surtout, ne te laisse pas faire par certains de mes chers voisins, si jamais tu les croises. Ils aboient beaucoup, mais finalement ils ne mordent pas si le maître ne leur en donne pas l'autorisation.
- A bientôt Alcmène !"

      Alcmène l'avait coincé trente bonnes minutes, uniquement pour l'obliger à raconter ce qui s'était passé, détails compris. Il l'avait finalement littéralement traîné vers la sortie, et mis dehors pour surtout qu'il n'arrive pas trop en retard, comme il avait dit. Alcmène. Yaga accéléra à nouveau et se dirigeait vers la maison suivant avec joie. La vie de chevalier n'était finalement pas si désagréable que ça. Le reste de l'ascension fut calme, la majorité des chevalier d'Or étant semble-t-il absents. Seul le paisible Anaxandre, gardien de la Maison de la Vierge lui adressa un mot amical, les autres Maisons rapidement dépassées grâce aux serviteurs. En excluant évidemment le regard noir et désapprobateur de son si grand ami Areus, on eut dit que plus rien ne pouvait troubler cette belle journée. Même ce satané soleil ne lui ferait pas perdre sa bonne humeur aujourd'hui.

      C'est avec résolution, et une fierté mal dissimulée qu'il passa entre les gardes du palais du Pope et se fit ouvrir les porte en grand. Son casque sous le bras, il s'avança jusqu'au pied de l'estrade ou trônait le Grand Pope, et Proclès à sa droite, les bras croisés, puis mit un genou à terre.

"Yaga, chevalier de la constellation d'Orion. Je réponds à votre convocation. Yaga jubilait. Même si, à l'origine l'armure n'avait été qu'un moyen de survie dans ce milieu hostile, son opinion avait changé depuis la veille : c'était un prestige indéniable, qui avait ses avantages. Et il se prenait parfois à répéter son titre dans sa tête, comme pour en apprécier la sonorité.
- Avec un peu de retard.
- Exc...excusez-moi Grand Pope, je...j'ai...
- Je sais. Alcmène a tendance à se montrer trop bavard.
- ... Yaga ne voyait pas quoi dire. Il savait très bien que le Grand Pope semblait toujours au courant de tout ce qui se passait sur son domaine. Mais il hésitait à répondre à propos d'Alcmène : ce dernier était un chevalier d'Or, et Yaga n'avait pas à émettre une opinion sur un homme qui lui était supérieur.
- Qu'importe, nous ne sommes pas là pour ça. Je t'ai convoqué pour te confier une mission. Un long voyage s'imposera.
- A vos ordres ! Cette fois, le chevalier d'Orion était aux anges. Il trépignait presque. Enfin on allait lui donner un rôle, quelque chose d'important à coup sûr !
- Mais étant donné ton inexpérience, j'ai décidé de t'atjoindre un compagnon de route. Vous ne serez pas trop de deux.

      Un peu surpris, Yaga repris vite sa contenance. Si le Grand Pope comptait envoyer deux chevaliers sur la même mission, elle devait être de taille. En effet, il était rare que plusieurs chevaliers soient envoyés ensemble. Le Sanctuaire vivait dans une période de paix relative, et la présence de chevaliers de par le monde n'était pas nécessaire. Il entendit la lourde porte de la salle du trône s'ouvrir en grinçant, et se retourna. Puis grimaça.

"C'est pas vrai... grommela Yaga entre ses dents.
- Maya, chevalier de la Flèche. Je réponds à votre convocation. Un jeune homme, plus jeune et bien plus petit que lui, s'avançait en souriant franchement, les cheveux en bataille, les yeux marrons brillants de malice et de défi, jouant avec son casque. Il regardait Yaga d'un air amical qui déplaisait franchement au chevalier d'Orion. Il aurait dû l'écraser au pied des marches.
- Vous allez faire équipe, chevaliers.
- Grand Pope, est-ce bien nécessaire ? Je pense que j'y arriverait bien tout seul.
- Yaga, tu viens à peine de recevoir ton armure et ton titre. Je ne pense pas que tu sois à même d'accomplir une quelconque mission seul. Maya te permettra de t'accoutûmer à tes nouvelles charges.
- C'est un vrai plaisir pour moi ! Je sens qu'on va bien s'entendre, mon ami !"

 

      Être obligé de voyager avec ça. Yaga n'en revenait pas. Subir huit années d'entraînement, affronter les brimades et les coups de ses supposés camarades, risquer sa vie des dizaines de fois, retourner des cailloux pour trouver une armure...tout ça pour devoir supporter un bavard impénitent et pénible. Dès le premier coup d'oeil, Yaga savait qu'il ne l'aimerait pas. Ca se confirmait à présent. Mais il n'aurait jamais imaginé que cet avorton puisse être un chevalier. D'Argent qui plus est. Un vrai cauchemar. Et Maya continuait de le regarder joyeusement, en lui tendant la main. Il avait l'air sincère. Yaga allait le tuer.

" On n’est pas amis..."
 

Fin du Chapitre 3

Cette fanfic est la propriété de Nicolas Morgenthaler (c) 2005
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